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Le Blog d'Elisabeth Poulain

Invisibilité, identité et image > L’exemple de l’Estuaire de la Loire

20 Octobre 2009, 11:04am

Publié par Elisabeth Poulain

Sous ces trois I que sont l’invisibilité, l’identité et l’image d’un territoire, le cas de l’Estuaire de la Loire offre un très bon exemple de la mise en lumière d’un territoire qui a été jusqu’il y a peu encore un territoire ignoré par la société mais pas de ceux qui l’utilisaient.  

Le diagnostique d’invisibilité, un fait sociétal

Cette invisibilité était le fait de la société dans son ensemble. Bien sûr, certains connaissaient l’estuaire et en tiraient profit. Les habitants des villes et villages situés sur les rives, les pêcheurs et transporteurs fluviaux, les propriétaires de belles demeures avec vue sur la Loire en connaissaient l’importance économique ou la beauté. Ce capital n’était pourtant pas pris en compte par les décideurs, un mot d’aujourd’hui pour désigner tant les pouvoirs publics que les entrepreneurs. La Loire était belle certes, mais son existence devait d’abord servir d’autres fonctions.  

La vision réductrice de la Loire

Au fil du temps, on n’a pas résisté d’en faire par exemple :

. une route au service du passage des grands bateaux jusqu’à Nantes, quitte à dévier son lit principal, à le creuser très profondément, à modifier ses rives, à créer des îles artificielles ;

. une cuvette à  curer tous les jours pour y enlever les vases qui se forment au contact du choc entre l’eau salée et l’eau douce ;

. un gisement inépuisable de sable pour la construction et l’agriculture ;   

. un gigantesque réservoir d’eau douce inépuisable avec des tirages très importants au service de l’agriculture, l’industrie…

. un déversoir d’eaux dont le traitement de recyclage n’est pas toujours bien maîtrisé ;

. une gigantesque pompe aspirante et refoulante pour les émissions de gaz et de matières liquides toxiques pour l’homme et la bio-diversité…  

 

La fonction utilitaire de l’Estuaire de la Loire au cours globalement du XIX et des ¾ du siècle dernier a fini par occulter quasi-complètement l’estuaire en tant que territoire spécifique, surtout quand des voies rapides en rive droite d’où on ne voit jamais la Loire ont permis de rejoindre Nantes au littoral. Le développement de la métropolisation de Nantes-Saint-Nazaire a en effet accentué le phénomène.   La rive sud, quant à elle, a gardé plus longtemps son caractère caché, un peu secret en symbiose avec le fleuve lui-même.

 

Les troubles fonctionnels

La complexité et l’antagonisme des fonctions utilitaires de la Loire ont été clairement révélés quand des troubles ont commencé gripper la machine. Citons, sans les développer, les dégradations des rives, l, la baisse considérable du niveau des eaux, les atteintes à la biodiversité, l’accroissement du bouchon vaseux à l’entrée de l’estuaire, la pollution des eaux, l’élévation de la température de l’eau, le coût de ces dégradations et leur irréversibilité pour certaines…Ces phénomènes négatifs ont d’abord été ignoré à des titres divers puis pour certains cachés lors la prise de conscience de l’irréversibilité de certaines atteintes.

 

L’invisibilité

La sur-utilisation de la Loire a conduit à la rendre invisible, d’autant plus que des industries lourdes et/ou polluantes se sont établies sur ses bords.  En témoignent des présences architecturales industrielles qui, dans l’esprit sociétal d’après la seconde guerre mondiale, étaient le contraire du beau. Dans le même temps, plus se développait la construction en front de mer La Baule-Pornichet et Saint-Brévin de l’autre côté de l’estuaire, plus la présence industrielle devait s’effacer. Ce travail d’occultation a été facilité par la baisse de la production industrielle particulièrement en sud Loire près de Nantes. Elle a renforcé l’invisibilité de la Loire. 

 

La prise de conscience de l’identité grâce au développement durable (DD)

Elle est venue de la rencontre entre le besoin de vue sur la Loire des nouveaux habitants des logements venus remplacer les installations industrielles et de l’analyse de la situation faite par les écologistes. Il fallait faire quelque chose. Le développement durable a permis de remettre tous ces éléments en cohérence. L’Europe a stimulé la prise de conscience de la richesse de ce patrimoine irremplaçable et d’autant plus fragile qu’on lui en a trop demandé, sans vraiment penser en terme de coût et de contre-partie pour le fleuve lui-même et pour la société. L’estuaire est alors sorti de son invisibilité.  

 

Le renforcement de l’identité                      

S’est alors posé la question de l’identité de ce territoire fragile. Toujours grâce à l’UE dans le cadre de l’Agenda 21, un plan ambitieux de connaissance était mis en place. Il a pu s’appuyer sur des travaux de qualité menés par des chercheurs et des institutionnels groupés dans GIP Estuaire qui ont apporté des certitudes sur la richesse de ce patrimoine et des remèdes à appliquer. De même que le développement durable est une démarche collective au niveau européen, de même l’organisme  est issu d’un groupement collectif de toutes les instances publiques concernées qui montrent ainsi leur capacité à travailler ensemble pour le bien de tous et celui de la Loire en particulier. Le troisième niveau de cette construction est fondé sur la démarche de la Région des Pays de Loire qui a mis en place une importante opération d’appropriation de l’Estuaire par ses citoyens grâce à l’opération des Assises 2008 qui se poursuit depuis lors.

 

De l’identité à l’image et vice et versa

Parallèlement, alors que les rapports au fleuve se modifiaient du fait de la prise de conscience de ce trésor en terme de patrimoine naturel et de paysage, l’image de l’estuaire de la Loire a changé. Cette évolution douce a été  accompagnée et renforc2e par la volonté de Jean Blaise, grand concepteur d’art et d’évènements culturels éphémères toujours en lien avec des lieux, des territoires et ceux qui y vivent, y travaillent et y passent. C’est lui par exemple le maître à bord du Lieu Unique installé au siège de LU, la grande entreprise de biscuits nantaise. C’est aussi lui qui a crée les Nuits blanches à Paris, qui se déclinent maintenant dans bon nombre de capitales dans le monde. C’est aussi lui qui met en scène la biennale « Estuaire 2007-2009-2011 Nantes Saint-Nazaire » qui vient de connaître sa seconde édition cet été. 

 

L’image

Elle est s’appuie sur un territoire suffisamment vaste et inconnu pour attirer les curieux toujours en demande de nouveauté limitée dans le temps. Il faut être de ceux qui étaient là. Ici, c’est l’Estuaire d’ailleurs, plus que la Loire d’ailleurs qui traîne une image un peu trop exploitée de châteaux de conte de fées. Ce seront les bâtiments industriels surtout qui donneront à cette découverte en forme de ré-appropriation d’un territoire par ses habitants une forme d’hommage détourné. Voir autrement ce qui était, grâce à la magie de l’art, concevoir autrement, s’amuser ensemble avec d’autres, tels sont quelque uns des objectifs de Jean Blaise, qui sait concevoir et mettre en scène des évènements culturels innovants qui s’offrent aux passants, curieux de nouveaux regards sur leur environnement spatial pour un temps limité. Pour résumer la démarche de Jean Blaise, de son équipe et des artistes qui jouent avec eux, on pourrait dire qu’au cœur de la démarche, il y a

 

1. un concept fort artistique innovant et décalé ; ici voir, sentir, appréhender, découvrir, se réapproprier … l’estuaire autrement,

2. en faisant appel à des artistes venus d’ailleurs et d’ici  avec une grande mixité culturelle,  

3. dans un espace territorial défini, l’estuaire étant l’acteur de sa propre création,

4. pour un temps défini, ici l’été avec un rendez-vous tous les deux ans, 2007-2009-2011,

5. offert aux habitants qui sont les découvreurs-inventeurs-co-créateurs de cette scénographie culturelle-naturelle,

6. dans une démarche de mouvement ; il faut se déplacer pour aller sur site,

7. et ce faisant, tracer un nouveau maillage du territoire, appelé presque naturellement à devenir pérenne, comme par exemple la Villa Cheminée, œuvre de l’artiste japonais Tadzu Nishi qui est à louer 85 EUR la nuit.    

 

Pour suivre le chemin

. Pour le GIP, voir http://www.loire-estuaire.org/

. Pour la région Pays de Loire, voirhttp://www.territoires.paysdelaloire.fr/territoires/2009/fevrier/detail-article/nb/1518/n/assises-regionales-et-agenda-21-la-democratie-citoyenne-a-lhonneur/

http://www.paysdelaloire.fr/fileadmin/PDL/DEPT/Developpement_durable_Assises_08_BD.pdf qui vous donnent les chiffres clés des assises 2008 : 4 500 participants, 38 conseils de développement mobilisés, 18 débats (de novembre à janvier), 17 instances de concertation labellisées, 4 panels constitués de 60 citoyens dont un consacré au développement économique de l’estuaire en lien avec ‘l’équilibre naturel’ de l’estuaire, 20 000 visiteurs sur le site Internet des Assises, 5 000 réponses au questionnaire publié dans le magazine des Pays de la Loire.

. Pour la Villa Cheminée à louer, http://www.dolcerama.fr/article.php?id_article=1085

. Photos EP à partir du livret de l’événement, avec mes remerciements.  
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