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Le Blog d'Elisabeth Poulain

Edward Baran ou l'art de renouveler l'Art de la Boucle et du Fil

8 Mai 2012, 09:51am

Publié par Elisabeth Poulain

L’homme est un de ces artistes qui regardent toujours devant eux pour continuer à avancer sur le chemin qu’il s’est fixé, en acceptant toujours le hasard, la rencontre, en faisant des tas d’essais pour laisser ses doigts faire autrement, décider pour lui, avec ses yeux aussi toujours en attente, à l’écoute de ses yeux disent de ce que font ses mains. Comme un danseur, Il aime la boucle, jouer avec le fil si fin qu’on ne le voit que si on le cherche et pourtant  si solide qu’il sait qu’il peut lui demander beaucoup, comme porter des compositions lourdes de matière et pleines de vide, d’une absence si présente qu’on se demande comment ses œuvres sont faites. Edward Baran fait des boucles sur lui-même, en intégrant à chaque passage des éléments qui vont devenir partie de ses créations, dans une démarche innovante à la fois globale, intégrative et fine. 

Edward Baran, Sous la charpente, Bouchemaine, 2012

Mais avant, pour le licier qu’il est aussi, l’objet de toute son attention est la trame. L’artiste connait particulièrement les lois de la physique de la portance des matières. Il construit sa trame qui formera les fondations de la construction qu’il va ériger au-dessus. Son goût du jeu et de l’aventure va le pousser à perfectionner le ratio entre l’allègement au maximum de la trame, par exemple, avec le renforcement de sa capacité de portance, tout en la montrant en guise d’hommage et de remerciement pour bons et loyaux services rendus. 

Le textile revisité avec du papier et de la colle. On peut regarder les compositions d’Edward Baran, grandes ou petites, de loin, de prés, ou autrement qu’on le ferait pour une peinture. Elles n’en sont pas et pourtant, comme les tableaux, elles s’accrochent au mur. Comme eux en surface, elles portent des peintures sur papier marouflé. Mais à leur différence, elles sont portées par une armure composée d’un fil de chaîne que rencontre un fil de trame de façon alternée. Chaque croisement fait l’objet d’un nœud pour stabiliser ce voile quasiment invisible. Dessus, l’artiste encolle des feuilles de papier déjà marouflé avec beaucoup de colle de façon à assurer la stabilité de l’ensemble.

Edward Baran, Salle du Bas, Rouge, Bouchemaine 2012

La déchirure pour laisser passer l’air et le regard. C’est le papier qui assure la première forme directement perceptible, la densité de la matière et la solidité de l’ensemble. C’est à lui qu’Edward Baran demande de figurer l’épaisseur, de façon à créer cette troisième dimension qu’il recherche, comme une sculpture fine et plate, pour brouiller les frontières. On peut  à la fois voir dessus, voir dessous le mur sur lequel se fait l’accrochage et dedans, dans l’œuvre, car on aperçoit la trame qui forme l’ossature, avec à chaque fois qu’une personne s’approche, ces yeux qui se plissent pour comprendre cet effet de perception nouvelle. On sent qu’il y a un mystère. On sait par ailleurs qu’Edward Baran ne choisit pas la facilité. Certains feraient semblant, en collant par-dessus des petits bouts de papier découpés. Lui prépare une grande pièce de papier marouflé qu’il peint et pose sur l’armature et la laisse s’encoller pour faire corps avec la structure. 

La recherche de l’équilibre par le retrait. C’est à ce moment seulement qu’Edward Baran  va sculpter sa création, en ôtant l’excès de matière, en déchirant, de façon volontaire avec un résultat aléatoire, petits morceaux par petites morceaux, le papier solidifié avec de la colle avec beaucoup de couleurs dessous, en grand peintre, joueur de coloris, qu’il est aussi. Le travail est délicat, car le résultat est toujours inattendu, car cet ensemble a sa vie propre. C’est le papier qui décide. Edward Baran déchire à la main. Pour l’artiste il y a, à ce moment-là précis, un pacte avec la matière. C’est aussi une vraie leçon de vie que de voir plus loin, autrement, en enlevant plutôt qu’en ajoutant toujours plus. Chercher la légèreté pour obtenir l’équilibre de l’œuvre.  Trouver le ton, le temps juste, en détruisant ce qui est, juste ce qu’il faut mais pas de trop, pour obtenir ce qu’il cherche, lui, en composant avec le fil et le papier.

Edward Baran, Sous la charpente, Détail, Bouchemaine, 2012

Le principe de destruction-création-innovation et la part de la matière. Lors d’une exposition, un visiteur lui a un jour demandé s’il n’avait pas le sentiment de détruire son œuvre en déchirant les interstices entre les nœuds ; cette (auto-)destruction était pour lui difficile à accepter. En réponse, l’artiste lui expliqué qu’il a commencé sa formation à l’Ecole des Beaux-Arts de Varsovie, dans la section de « l’Art textile ».

Pour lui, la matière, la perception, la sensation qu’il en retire sont essentiels, pas seulement dans la création artistique, dans la vie. Créer, c’est sentir la matière, sachant que cette matière devient une Alter Ego, une partenaire associée. C’est à elle qu’il propose. C’est avec elle qu’il compose. Enlever l’excès devient alors une étape nécessaire  à la création, quand on commence à sentir que « ça y est, quelque chose se passe », avec un peu de trop, mais c’est la bonne route, celle qui conduit à la création, en faisant autrement.

Edward Baran, Salle du Bas, Trilogie jaune et noire, Bouchemaine 2012

Avec la matière, la couleur. Dans l’exposition de l’Abbaye de Bouchemaine de 2012, la couleur joue un  rôle essentiel. C’est elle qui tonne le ton. Parfois en jouant sur une seule teinte, dont le créateur multiplie les subtilités des variantes. Dans la salle du bas, on voit par exemple, un découpage de carton rouge collé sur un autre carton, placé en dessous de quelques centimètres, de façon à donner le relief. La force de ce rouge teintée d’orange est si grande, qu’il a fallu à l’artiste créé un autre modèle différent mais cette fois-ci en vert, un vert jeune, acidulé, dans le même matériau, placé à côté, pour l’équilibrer, à moins que ce ne soit l’inverse. Le vert d’abord, le rouge ensuite, ce que je serai tentée de croire dans ce jeu par paire.

L’usage de la couleur, on le sait n’est jamais facile, du fait même de son pouvoir d’attraction. C’est pourquoi, le  coloriste a joué aussi dans une série de trois autres compositions géométriques dissymétriques, avec le jaune qui éclate de vitalité entre le blanc qui éclaire tout et le noir qui joue de son côté. Et un changement d’importance, l’envers est cette fois-ci devenu l’endroit. Les fils de trame noire sont dessus. Ce sont elles qui apportent aussi un autre élément de désordre dans cet univers géométrique jaune et blanc.  

Edward Baran, Salle du Bas, Etiquette de vin, Bouchemaine 2012

La fascination pour le vert, le noir et la dimension. C’est ce qui ressort des deux installations entre le bas de l’abbaye et le haut sous la charpente. En bas, des œuvres de moyennes dimensions faciles à installer sur un mur. En haut, sous la charpente de l’abbaye, la taille majestueuse  devient une composante majeure qui exige du visiteur plusieurs aller-retour en va et vient pour tenter de saisir ce qu’il a devant les yeux et dans les yeux.

Sur le pignon le plus proche du pont qui traverse la Maine, c’est le déséquilibre entre le peu de noir en contraste avec l’importance du vide, ou du passage de l'air, qui domine dans cette œuvre très maîtrisée, qui irradie en hauteur sur le mur en triangle. Edward Baran peut pleinement satisfaire son sens de la composition dirigée avec ce cercle rayonnant dans sa grande pureté symbolique qui éclaire toute la grande salle. En face à face, sur l’autre pignon, se trouve l’œuvre textile suspendue verte de 4m sur 2,5m dont j’ai déjà parlée. Le grand espace qui les sépare est nécessaire à l’équilibre de leur puissance d’expression. 

Edward Baran, Sous la charpente, Bouchemaine, 2012

Le franchissement des frontières, la création du nœud modal et la lumière. Chez Edward Baran, on voit que le Textile fait alliance avec le Papier, grâce au Découpage en forme de façonnage, qui porte à son tour la Peinture qui joue la partition de La Couleur. Le textile est le fil qui devient filet, en fortifiant les points de croisement dans une boucle, qui elle-même enduite de colle porte le papier peint avec de la couleur, déchiré en morceaux qui chacun va vibrer différemment à la lumière, du fait de sa forme singulière, de son emplacement et de son voisinage. Le vide et  l'air qui passe, qui se créé entre les petits papiers peints figure plus que l’absence de papier ou de couleur. Ils deviennent une composante de ce qui est, en disant ce qu’ils ne sont pas, et en magnifiant ce qui les entoure et ceux et celles qui les regardent.

On imagine ce que deviendrait un tel accrochage comme celui qui se situe sous la charpente de l’Abbaye, au second étage, avec cette œuvre de 4 mètres de long sur 2,5m de haut, sur un mur qui serait lui-même éclairé. Déjà là, avec la lumière d’un soleil froid de début d’un printemps à frimas venant de la droite  par la petite fenêtre haute et étroite, on perçoit déjà cette vie, comme un feuillage jeune après la pluie, brillant au peu de lumière, avec une toute petite brise réelle ou  imaginaire. 

C’est Edward Baran, comme un danseur, qui pratique, avec beaucoup d’élégance et de grâce, l’art de la boucle et du fil, en guise de nouvelles frontières d'expression. 

 

Edward Baran, Etiquette de vin à la main, Bouchemaine 2012

 

Pour suivre le chemin

. Edward Baran a fait ses études à l’Ecole des Beaux-Arts de Varsovie (Pologne), dans l’Atelier « Peinture et Recherche sur les structures tissées ». Il vit et travaille en France depuis 1966, d’abord à Paris, où il a rencontré Maria, architecte, polonaise comme lui, qui est devenue sa femme. Ensuite, le couple s’est fixé à Mougins sur la Côte d’Azur. C’est là que les tapisseries d’Edward Baran ont commencé à être exposées. A la suite d’un accrochage de ses œuvres à Angers, le Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de cette ville  a contacté l’artiste pour savoir s’il serait intéressé par le poste de professeur « Peinture ». « C’est comme cela que ça s’est passé » explique Maria, qui était d’accord à une condition, c’est qu’ils ne dépassent pas la Loire. Ils se sont donc installés à Blaison en rive gauche de la Loire, dans un moulin, « que Maria a choisi » explique Edward en riant!

Maria Baran, Architecte, Salle du Bas, Bouchemaine

. Cette interview a eu lieu à l’Abbaye de Bouchemaine en Maine et Loire, juste en face de la confluence avec la Loire , le dimanche  22 avril dernier. Photos EP prises ce jour là.  

Edward Baran, Salle du Bas, Bouchemaine 2012

. Voir une brève biographie de l’artiste à l’intention des enseignants dans http://musees.angers.fr/fileadmin/plugin/tx_dcddownloads/ArtContemporain.pdf

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