Mini-Cas alimentaire (3), L'Eldorado céréalier ukrainien
Quand survient brutalement une affaire comme celle de l’huile de tournesol, il convient toujours d’élargir le champ de vision qui est vraiment très localisée pour l'instant quand on lit la presse. A peine mentionne-t-on quelques pays parmi ceux qui se sont fait connaître - 6 sur 13 actuellement + l’UE - qu’on se dit que l’angle de vue est trop étroit. Il faut alors replacer l’affaire dans son contexte, à savoir l’huile de tournesol par rapport aux autres huiles, les entreprises productrices et l’Ukraine, en essayant de voir ce qui a changé récemment.
Commençons par l’huile de tournesol. Une journaliste de RFI, Dominique Baillard a relevé dans un billet du 05.10.2007 que l’huile de tournesol est devenue l’huile alimentaire la plus chère au monde, à 1 400 USD la tonne d’huile à la Bourse de Rotterdam, Elle signale que les acheteurs comptaient alors sur la production ukrainienne pour faire baisser les prix. C’est l’inverse qui s’est produit’. Le prix de l’huile de tournesol a continué à grimper jusqu'à 1 800 USD. Cette hausse évidemment doit être se comprendre dans le mouvement général de hausse du coût des matières premières, des agro-carburants, des stockages de précaution et des spéculations à la hausse.
La baisse de la récolte réelle en Ukraine par rapport à celle qui était prévue ne fait qu’amplifier le phénomène. Les conditions climatiques y sont peut être pour quelque chose, mais le rendement aussi du fait de l’épuisement des terres et de conditions de productions peu adaptées . Comme le dit de façon subtile, l’analyse de la Mission économique française d’Ukraine « des augmentations de rendements importantes et rapides peuvent donc être obtenues en introduisant des techniques de culture, de semences et des intrants modernes ».
Trois sortes d’entreprises constituent la filière huile ukrainienne, les petits producteurs travaillant pour le marché local, des sociétés spécialisées dans les savons et margarines aux deux bouts de la chaîne. Entre les deux, moins d’une vingtaine d’huileries qui sont des entreprises de grande taille, ukrainienne ou étrangères. Tous les grands groupes étrangers ont des filiales sur place, que ce soit des céréaliers ou des élaborateurs de produits prêts à consommer.
C’est dire que le niveau d’exigence est au plus haut de façon à répondre aux cahiers des charges les plus exigeants. D’ailleurs plusieurs milliers d’ ensembles normatifs ont déjà été rendus conformes aux règles du Codex Alimentarius ainsi que de l’OMC que vient de rejoindre ce nouveau membre . Un autre atout, très récent, vient de la signature au début de cette année d’un accord de libre-échange avec l’UE Les accords commerciaux en sont facilités.
Les atouts de l’Ukraine sont donc en effet «majeurs» .Ils existaient déjà avant 1991, année de l’indépendance ; ils sont maintenant en plein essor en particulier grâce à l’aide de la banque mondiale, de l’UE (TACIS) et des EUAN. On comprend pourquoi l’Ukraine est déjà le 5è producteur de céréales du monde et le 3ème producteur de tournesol, juste derrière son puissant voisin , la Russie, avec lequel le pays a un différend profond sur le gaz. Reste la préoccupante question de la propriété de la terre qui n’est toujours pas attribuée. C’est dire que depuis 1991, la terre est louée. Le gouvernement avait jusqu’au 1 avril 2008 pour présenter des projets de lois portant sur cette question.
En conclusion, selon les termes de la note de la Mission économique, « l’Ukraine est une des rares parties du monde à posséder une capacité significative d’accroissement de la production de matières premières agricoles… ».
. En quoi cette mise en perspective change-t-elle le regard porté sur l’affaire de l’huile de tournesol ? (Voir à ce sujet les deux billets précédents Traçabilité et Risque de l'huile de tournesol).
Il suffit de s’aider de l’apport de chaque paragraphe.
. la hausse du prix de l’huile est déjà en soi un début d’explication. Si le cours de cette huile était bas, il n’y aurait aucun avantage financier ; c’est une des règles dégagées par la vie des affaires : plus le prix s’élève, plus le risque de modification des caractéristiques du produit tend à s’élever ;
. le bouleversement réglementaire très récent et de grande amplitude est aussi un facteur de déstabilisation, qui joue en corrélation avec la hausse de prix. Une loi ou un règlement , ne s’intègre pas d’un seul coup. Il faut un temps matériel et mental d’adaptation. C'est aussi une des règles de notre monde actuelle: plus l'appareil réglementaire est développé et plus il y a d'anomalies;
. la présence des multinationales renforce la pression réglementaire et accroît le différentiel qui existe entre les entreprises issues des anciens sovkhozes ;
. leur présence explique peut être aussi en partie l’absence totale d’information sur les entreprises et les marques concernées, non seulement en UE mais surtout en Ukraine car il y a de fortes probabilités que ce soit les mêmes d’un côté ou l’autre de la frontière de l’UE avec l’Ukraine ;
l’accord de libre-échange explique en partie l’allègement des contrôles ;
. la non-attribution de la terre est un profond facteur de déstabilisation de la société, surtout quand elle est façonnée par le lien à la terre, l’agriculture et les industries agro-alimentaires.
Pour suivre le chemin
. Fiche de synthèse sur l’Agriculture en Ukraine, rédigée par Philippe Pegorier et revu par Alexandre Brunet, sur le site des Missions économiques en Ukraine
. Industrie de l’huile à voir sur le site de l’Ambassade de l’Ukraine en France, www.mfa.gov.ua/France/publications
. La fiche pays sur La présentation de l’Ukraine sur le site www.interex.fr/fr/fiches-pays/ukraine
. Dominique Baillard sur www.rfi.fr/actufr/articles/
. France Ukraine pour avoir toute l’actualité, sur www.France-ukraine.com
. le site de Ducroire Delcrédère sur www.ducroire.fr pour avoir quelques infos succinctes sur le risque politique et le risque commercial, deux bons indicateurs pour ceux qui veulent exporter là-bas et cette cette fois-ci pas importer : 3 en risque politique sur une échelle de 1 (risque faible) à 7 (risque élevé) et C en risque commercial sur une échelle de A à C.. Photos EP prises sur la route entre Picardie et Normandie, la n° 1 champ de blé, la n° 2 champ de lin, dont l'Ukraine est aussi un grand produteur