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Le Blog d'Elisabeth Poulain

Mini-Cas alimentaire, le risque de l'huile de tournesol (2)

31 Mai 2008, 16:36pm

Publié par Elisabeth Poulain

Il s’agit d’une grosse entourloupe d’importation en UE d’huile de tournesol enrichi en huile de moteur (voir billet n° 1 paru le 29.05.08 dans ce blog sous le titre de Traçabilité, Traça, Tra quoi ? Alimentaire ! Ah). Cette affaire commence en Ukraine lors de la signature d’un contrat d’achat de 40 000 tonnes d’huile pour un montant de 504 000 USD par de grandes compagnies européennes, situées en France, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et maintenant aussi au Royaume-Uni et en Grèce. Le plus gros acheteur (2 600 tonnes) est français. L’huile frelatée a été achetée à son tour par les entreprises de l’Industrie Agro-Alimentaire (IAA) en Europe. En France près de 30 entreprises pour plus de 200 produits parmi les plus vendues sont concernés. Ce ne sont que des estimations puisque ni les autorités européennes ni les françaises n’ont indiqué les noms des entreprises et des produits.   


L’huile de tournesol est présente aussi bien dans les produits à base d’huile comme les sauces, les poissons en boîte, les salades, les sauces froides -salade- ou chaudes ainsi que dans les gâteaux, les céréales du petit déjeuner, les pâtes à tartiner…

Le pays d’exportation, l’Ukraine, travaille essentiellement pour le marché mondial ainsi que pour l’UE en raison de ses coûts bas de production et de l’étendue des terres agricoles d’une fertilité à faire rêver tous ceux qui ont la terre dans le sang.  Elle est un pays à forte tradition agricole où 20% des actifs sont encore affectés à ce secteur. C’est aussi un pays ‘neuf’ qui a accédé depuis peu à l’économie de marché, sans avoir eu déjà le temps de mettre en place un appareil réglementaire adapté à la situation. C’est le pays qui a en outre déjà à gérer la lourde tache de l’Après-Tchernobyl. 
 


La découverte de l’anomalie qui s’est très rapidement transformée en soupçon de fraude a été faite à l’arrivée de la cargaison chez un acheteur du Nord de l’Europe qui a ensuite prévenu son collègue français,  qui a contacté la Répression des Fraudes qui a transmis l’information à l’Autorité européenne de sécurité des aliments. L’affaire n’a alors pris de l’ampleur qu’avec le premier article du Canard Enchaîné en date du 15 mai alors que la détection avait eu lieu fin février. 
 

Après quelques hésitations, l’EFSA (European Food Security Agency), l’autorité européenne compétente en sécurité alimentaire,  a décidé d’autoriser la vente des produits à l’huile contenant moins de 10% de ce mélange huile végétale-huile minérale, arguant que la partie minérale n’avait pas encore reçu les additifs dangereux utilisés pour la transformer en lubrifiant utilisée dans l’industrie aéronautique. La raison de l’autorisation est semble-t-il double :    

. l’impossibilité de connaître le nombre exact des produits selon la DGCCRF
. et l’absence de toxicité à moins d’ingestion journalière de 1,2 gr pour une personne de 60kg pour l’EFSA.  

L’Espagne prend cette affaire particulièrement à cœur. Elle a déjà connu une terrible affaire de contamination d’huile de colza avec de l’huile industrielle contenant de l’aniline (dérivé du nitrobenzène) provenant de France en 1981. En raison de toutes les entraves, le procès n’a pu avoir lieu que 18 ans après et les séquelles se font encore sentir. Il y eut 1 200 morts, 4 000 invalides et 13 500 moins gravement invalides. Certains avancent des chiffres plus élevés. Le gouvernement espagnol fut condamné à verser 20 milliards de FRF aux victimes du fait de la carence des autorités et plus particulièrement du directeur du laboratoire central des douanes espagnoles.  


Actuellement tous les institutionnels, les porte-parole des entreprises productrices ainsi que les distributeurs concernés attribuent à l’huile ukrainienne un risque de toxicité  non-aiguë (sous-entendu ‘contrairement à l’huile espagnole’). Le raisonnement est admirable :
. il y a bien eu anomalie ;
. les produits contenant plus de 10% de cette huile sont retirés des rayons ;
. pas les autres. 
. Les lots non encore intégrés à des préparations sont ‘consignés’ en attente d’analyses plus poussées confiées à 3 laboratoires. Il pourrait s’agir de paraffine, auquel cas il n’y aurait pas ‘danger’ puisque c’est une huile alimentaire. 


Les autorités espagnoles ont quant à eux interdit à la vente tous les produits, jusqu’à ce que soient déterminés les produits et les marques. La Grèce vient d’annoncer qu’elle a bloqué un lot d’huile en provenance d’Ukraine qui présente les mêmes caractéristiques, alors que ce lot ne fait pas partie de la vente citée au départ de l’affaire. Ordre a été donné de retirer du marché les produits visés.   

Quant à l’Ukraine, elle est sommée de fournir des réponses aux questions que se posent la Commission et la EFSA. Elle poursuit son enquête et déclare ne pouvoir pour l’instant identifier l’origine de l’affaire. Elle s’est engagée à donner les réponses sous quelques jours.

La Commission  demande à l’Ukraine de fournir désormais un certificat ainsi que les résultats de l’analyse de chaque cargaison d’huile avant exportation hors d’Ukraine. Les Etats-membres devront à leur tour faire des analyses à l’arrivée. L’efficacité du dispositif sera  appréciée dans un an, en mai 2009. 



Aucune information n’a été ni n’est donnée au consommateur de façon à lui permettre de réagir en sélectionnant les produits conformes aux normes de qualité réglementaires ainsi que celles qui sont promises par les Grands des IAA et les engagements des chartes-qualité des Grands Distributeurs. 
 


Questions
. Quels sont les acteurs de cette affaire ?
. Que pensez-vous de l’application la règle de la traçabilité ?
. Quels sont les contrôles manquants jusqu’à la décision des autorités européennes prises à posteriori ?
. Quels sont les deux autres grands principes, jamais cités au cours de l’affaire ni dans ce billet, qui complètent la traçabilité en un triangle d’or régissant les relations entre les autorités, les entreprises et les consommateurs. 

 Réponses

. Les acteurs sont
° l’entreprise ukrainienne qui produit, assemble et vend l’huile ; les différentes fonctions peuvent être assurées par des entreprises différentes ;
° les autorités ukrainiennes et plus particulièrement la douane ukrainienne, 
° les organes de l’UE, EFSA et Commission en tête, ainsi que les douaniers de toutes les douanes des pays membres qui exercent pour le compte de l’UE, 
les autorités des Etats-membres de l’UE, qui ont aussi à  exercer leurs obligations de sécurité alimentaire,
° les entreprises productrices qui achètent,  celles qui utilisent ces matières premières et celles qui distribuent,
° les consommateurs européens.  

. La règle de traçabilité a été en réalité d’une application un peu particulière dans cette  affaire. En effet, le suivi de la marchandise échappe aux autorités qui s’en remettent aux entreprises. On remarque que l’alerte a été donnée par une entreprise du Nord de l’Europe, non pas à l’UE, mais à un collègue concurrent qui lui a enfin averti Bruxelles. Avec à chaque fois un retard manifeste qui permet d’écouler la marchandise.  Un retard qui curieusement est souvent d’1 mois. Ce ne peut être un hasard. Il faudrait connaître la durée du délai de déclarations aux autorités sanitaires. Visiblement 1 mois, c’est beaucoup.   

. Le nombre de contrôles manquants est assez étonnant quand on voit la chaîne des acteurs. Chacun des acteurs s’est engagé à observer et faire observer les règles du Codex Alimentarius, créé en 1963 par la FAO et l’OMS  qui prône des usages normaux en matière alimentaire. Visiblement, des contrôles n’ont pas été faits au départ en interne ni en cours d’élaboration de l’huile, ni pour vérifier l’adéquation avec le cahier des charges dont le respect est exigé par l’acheteur, ni au moment du remplissage des conteneurs par une société certifiée, type Véritas. 

Manquent ensuite les contrôles des douanes de sortie d’Ukraine et d’entrée en UE, ainsi que ceux qui peuvent avoir lieu dans l’UE, comme cela est possible en tout point du territoire douanier européen. Manquent aussi la vérification par les utilisateurs de l’huile et ceux des distributeurs.  Ca fait beaucoup. Mais peut-être certains ont-ils été faits. On l’ignore. Quoi qu’il en soit, l’huile a bien continuée à être utilisée, sans difficulté.  

. La règle de la traçabilité est le chaînon qui relie l’entreprise à ses clients ainsi qu’aux autorités. Il a pour but de suivre le produit du début jusqu’à son ingestion par le consommateur. On a commencé à en parler lors de l’affaire de la vache folle. Depuis lors, il est devenu d’application quasi-générale dans l’industrie alimentaire, pharmaceutique…

Il est complété par le principe de précaution qui lie les autorités et les consommateurs. Ce principe a, comme son nom l’indique, pour but d’obliger les autorités à protéger les citoyens en matière de risques éventuels. Le troisième principe est le droit à l’information qui protège les consommateurs, qui peuvent alors agir et réagir en connaissance de cause. Ceux-ci doivent être à même de  décider en adultes responsables et avoir l’information qui les concerne directement. 

En conclusion, cette affaire est exemplaire à ces trois titres :
. une traçabilité avec beaucoup de chaînons manquants,
. un principe de précaution d’application ‘légère’ puisque la décision est prise alors que les analyses ne sont ni complètes, ni finies, sauf pour l’Espagne et la Grèce,
. le droit à l’information passé aux oubliettes.

En vérité, l’affaire du risque de l’huile de tournesol ukrainienne n’est pas terminée. Vous aurez un 3è billet sur la question. L’affaire est jolie. 


Pour suivre le chemin

. le billet n° 1 sur la traçabilité déjà paru sur ce blog, en attendant le n°3
. Le canard enchaîné du 14 et du 21 mai,
. Le Point à voir sur www.lepoint.fr/actualités-societe/huile-ukrainienne
. Agrisalon sur www.agrisalon.com
. L’agence européenne de sécurité alimentaire, sur www.efsa.europa.eu
. Terre net sur www.terre-net.fr/actualité-agricole/europe-international 
. Tableau 'Nantes', collection  et photo EP
 

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