Les menus de déjeuner & de dîner de mariage, 1936, Haguenau, Bas-Rhin
Voilà deux jolies petites pépites, par leurs dimensions, trouvées par hasard dans une autre pépite, nettement plus grande par sa taille. Je commence par la grande pour ensuite me dédier aux menus et finir par les vins. Un petit rappel, nous sommes alors en Alsace, dans le Bas-Rhin, à Haguenau, c’est-à-dire dans le département le plus au nord.
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. Le vieil ouvrage de 34,5cm de hauteur sur 24,5 cm de largeur et de 2,8 cm d’épaisseur. Il s’agit de l’Atlas général de Géographie physique, politique et historique par L. DUSSIEUX, qui porte un second titre complémentaire au milieu de la couverture en épais carton, « Atlas de géographie ancienne, du Moyen-Age et moderne. » Et à l’intérieur, dans la sous-page de couverture, une double mention importante, L. Dussieux est « professeur d’histoire à l’Ecole impériale, militaire de Saint-Cyr, membre correspondant des comités historiques », cette dernière mention figure en tout petits caractères et l’autre précision est que ce fameux atlas est « à l’usage de toutes les classes » en caractères gras.
Il n’est pas possible de trouver une date d’édition, puisque la réglementation ne l’exigeait pas. Il n’y en a donc pas. La seule façon d’avoir au moins une approximation est de retrouver les dates des cartes gravées par XXXX, le nom du graveur. Comme en plus, il n’y a pas de n° de pages, vous comprenez que la situation devient un peu lourde pour s’y retrouver. « La France divisée en 86 départements » gravée par Marlier », est en page 76 parce que quelqu’un l’a marqué au crayon en haut à droite. Et c’est là à l’intérieur de ce vieil atlas que j’ai trouvé ces deux menus de déjeuners et de dîner offerts à l’occasion de ce mariage du 16 mai 1936 !
. Le menu du déjeuner de mariage. Il se présente dans un rectangle de papier cartonné (16cm x 16cm) soit 16 cm de hauteur sur 8 cm de largeur. Une fois plié en deux dans le sens vertical, il peut tenir facilement verticalement sur la nappe et être conservé ensuite pour ceux qui le désiraient. C’est visiblement le cas ici 81 ans après. Voici les mets en page 3 que les convives se sont partagés au déjeuner, car il y a eu, deuxième surprise, un dîner de mariage.
.. « Le menu de déjeuner offert à l’occasion du MARIAGE DE de Mademoiselle A. W… et de Monsieur A. F… le 16 mai 1936 ». La première chose qui m’a frappée est ce « Mademoiselle », alors même que le mariage a fait d’elle une dame. On aurait dû donc l’appeler Madame, née …
Passons et abordons la question du menu, et en particulier à l’intérieur dans ce qui serait la page 3, à droite quand on ouvre la carte (16cm x 16cm quand il est déplié). Voyons les plats présentés en sept séquences, sur plusieurs lignes (marquées ici par un / pour chaque changement de ligne), chaque paragraphe étant séparé des autres par un petit tiret très fin, chaque composante du plat étant écrite en caractères de différentes tailles de police, en fonction de son importance :
- « Crème de Volaille / à la Sévigné,
- Truites de Rivière / au bleu / Sauce Mousseline / Pommes nouvelles
- Vol au vent au riz d’Agneau / à la Médicis
- Poularde de Bresse / à la broche / Salade de laitue
- Parfait Princesse Alice / Friandises
- Gâteau aux fruits
- Fruits »
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Brève analyse d’un point de vue actuel, d’abord au plan nutritif :
- Les protéines sont reines par quatre fois, avec deux fois de la viande de volaille en consommé – qui est une « soupe claire » et en poularde, une fois du ris d’agneau (le ris étant du thymus des animaux ---) quant au thymus, c’est une « glande située en arrière du sternum ». C’est ce que dit très explicitement le Larousse en trois volumes de 1966 en page 3012…Je suis sûre que cela vous éclaire vraiment ; pour moi, j’avoue que j’ai un peu de mal… ! Il convient donc de ne pas oublier le poisson dans le domaine des protéines. Ce sont des truites de rivière, avec une question perfide, « existe-t-il donc des truites qui ne sont pas de rivière ? » La réponse est clairement « oui » !
- Les glucides sont forcément présents, mais pas tous cités. Le pain, qui en France accompagne le repas, n’a pas mérité d’être nommé… ! De toutes les façons après un tel repas qui a du s’étirer en longueur dans la journée, grignoter du pain entre les plats ne devait pas être une nécessité physiologique ni un usage bourgeois adapté dans un menu de mariage. Les légumes ne sont pas non plus franchement à l‘honneur, à l’exception des pommes. J’imagine que ce sont des petites pommes de terre nouvelles ; au mois de mai, c’est tout à fait possible. Mais citer « la terre » dans un repas qui se voulait « chic » n’était peut-être pas concevable. En matière de légumes verts, citons la laitue. Les fruits sont présents grâce « Gâteau aux fruits » cuits dans le gâteau, suivis ensuite par des « Fruits » que j’imagine frais. Le mystère restera donc entier…
- Les glucides visent aussi directement les mets sucrés de cette fin de banquet. Il y a « Le Parfait Princesse Alice » qui est présenté comme étant une friandise…Dans mon précieux LAROUSSE GASTRONOMIQUE, qui date de 1938 (soit deux ans après la date du mariage), il est écrit en page 777 en dernière position colonne de droite en bas qu’un « parfait était anciennement un entremet glacé à base de crème au moka…Actuellement on appelle de ce nom des glaces à bombe faite d’un seul parfum ». Ce sont des glaces légères, comme le résume l’ouvrage cité qui est une de mes « pépites Emmaüs ». Cela signifie que c’est dans un centre Emmaüs que j’ai pu découvrir cet ouvrage fabuleux. Une glace est-elle bien une friandise ? La réponse est « oui ». Un « Parfait Princesse Alice » est alors une belle dénomination surtout pour le repas de mariage. Un nom que j’imagine inventé pour honorer et faire plaisir à la mariée, dont le prénom était justement Alice ! Quant à connaître sa spécificité, je l’ignore.
- Il s’ajoute à cette friandise un « Gâteau aux fruits », sans précision non plus. Avec encore, des « Fruits », qui devaient être des fruits frais, par différence avec le gâteau dans lequel les fruits sont cuits. Mais cela ne devait être réservé qu’à ceux qui avaient encore un peu de place dans leur estomac.
- L’appréciation sociologique. Concernant les plats, elle sera très courte dans la mesure où toutes les composantes ou presque portent des dénominations sélectives. Par exemple, au déjeuner la crème de volaille est « à la Sévigné »,
- le vol au vent est « à la Médicis », la poularde forcément « de Bresse », le Parfait « Princesse Alice ».
PLaquette du menu du dîner de mariage, dessin doré en relief avec ruban & fleurs, Cl. Elisabeth Poulain
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Et maintenant voici le summum placé en page 2, sobrement intitulé « VINS ». Là c’est « le bouquet » dans un sens très positif, qui sera d’une grande « sobriété » (jeu de mots double !). Il y a en effet six vins, avec une sélection très travaillée. Ces vins seront aussi présents le soir au dîner de mariage.
Les voici, en commençant par trois vins d’Alsace, qui sont ainsi mis à l’honneur, car le mariage s’est passé en Alsace entre deux Alsaciens. Ont suivi un vin algérien, puis Pommard, une grande appellation de Bourgogne, pour finir sur deux Champagne !
Gewürtzraminer, un vin rouge
Riesling Zellenberg
Gewürtztraminer Becker
Mascara
Pommard
Champagnes Mercier et Heidsick
Quelques informations succinctes sur ces vins.
. Le Gewürztraminer, un vin blanc à la robe claire. Retrouver les généralités sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Gewurztraminer_d%27Alsace
. Le Gewürztraminer « Becker », qui est le vin cité en n°3 dans le menu, est ainsi présenté, aujourd’hui en 2017 : « corsé et charpenté, il développe de riches arômes de fruits, de fleur ou d'épices. Puissant et séducteur, parfois légèrement moelleux, il est parfait en apéritif ». C’est à découvrir sur le site des Vins Becker, http://www.vinsbecker.com/Nos-vins-d-Alsace-bio/La-gamme-des-7-cepages/Gewurztraminer-2.html
. Le Riesling est un vin blanc alsacien sec, au fruité aromatique et à la robe claire, à voir sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Riesling_d%27Alsace
. Quant au vin de Riesling Zellenberg d’aujourd’hui, vous trouverez des informations sur http://www.larvf.com/,vin-eblin-fuch-alsace-riesling-zellenberg-vins,4405517.asp
. Pour les vins de Mascara originaire d’Algérie, il est possible de consulter https://fr.wikipedia.org/wiki/Viticulture_en_Alg%C3%A9rie ainsi que http://www.gco-dz.com/fr/14-coteaux-de-mascara
. Le Pommard est un Côte de Beaune, en Bourgogne, qui a été reconnue AOC en 1936, justement l’année du mariage ! Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Pommard_(AOC)
. Et pour finir en beauté, voici les deux Champagnes, dont les noms continuent à figurer au Panthéon des Grands Champagne avec
- en premier cité, le Champagne Mercier, une grande maison de Champagne fondée en 1858, à retrouver sur http://www.champagnemercier.fr/fr/legal ainsi que sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Champagne_Mercier et l’essentiel sur http://maisons-champagne.com/fr/maison/mercier
- Puis vient ensuite le Champagne Heidsick , une maison fondée en 1851 http://piper-heidsieck.com/fr , à retrouver aussi sur le site, déjà nommé ci-dessus, http://maisons-champagne.com/fr/maison/heidsieck-co-monopole
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Et ce n’est pas ainsi que se termine ce repas de mariage du 16 mai 1936… Car il y eut aussi un dîner qui suivit le soir même dont je vais vous parler maintenant plus succinctement. Le déjeuner offert à l’occasion de Mademoiselle … et de Monsieur …le 16 mai 1936 a été suivi en soirée d’un dîner de noces.
. « DÎNER DE NOCE de Mademoiselle A. W.… et de Monsieur A.F.… 16 mai 1936 ». Le repas relativement plus léger, avec un plat en moins, comprend (le) Consommé royal, (des) Filets de sole à la Margerie, (des) Asperges en branches servies avec une sauce Hollandaise vinaigrette, (du) Jambon de pays à la gelée, (du) Savarin au rhum à la Chantilly et des Fruits…Quant aux vins, ils sont heureusement les mêmes que ceux servis au déjeuner…
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Combien de convives furent invités à partager cette journée. Faisait-il beau ? Où cela se passa-t-il ? Dans un restaurant ? Sont-ils allés marcher un peu entre le déjeuner et le dîner ? Ont-ils dansé après ? Quels sont ceux parmi les convives à avoir participé aux deux repas ? Peut-être les membres des familles proches. Et surtout pourquoi y a-t-il eu deux repas? Peut-être pour ceux qui purent être hébergés sur place ? Cela je ne le saurai jamais…On était en 1936, une année pleine de bruit et de fureur partout en France, mais aussi en Alsace, qu’on perçoit toujours comme une grande région calme et paisible. Un peu plus de trois ans plus tard, la Déclaration de Guerre éclatait le 3 septembre 1939…C’était le début de la seconde guerre mondiale, depuis celle de 1914-1918, la troisième depuis 1870 entre la France et l’Allemagne…
Pour suivre le chemin
. Voir pour exemple https://www.secretdemariage.com/dossier-56-est-repas-traditionnel-mariage-francais.html
. A comparer avec le cours portant sur la nutrition dans http://campus.cerimes.fr/nutrition/enseignement/nutrition_4/site/html/cours.pdf
. La truite de rivière sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Truite à ne pas confondre avec la truite de mer https://fr.wikipedia.org/wiki/Truite_de_mer
. Sur l’Alsace en 1936, https://www.la-croix.com/Archives/1997-01-15/LIVRE-L-Ete-36-en-Alsace-_NP_-1997-01-15-420168
. Sur le 3 septembre 1939, jour de la Déclaration de Guerre de la France à l’Allemagne, voir https://www.herodote.net/almanach-ID-1646.php
. Sur les vins d’Alsace aujourd’hui, voir sur le Net https://fr.wikipedia.org/wiki/Vignoble_d%27Alsace , consulter « Les Vins d’Alsace, une promenade viticole et les meilleurs adresses », Jacques-Louis Delpal, Artémis Editions, une bonne synthèse qui date de 2004
. Sur les Maisons de Champagne, on peut aussi voir un ouvrage qui date « Champagne, Le Plaisir partagé » d’Eric Glatre et Angélique de la Chaize, hoëbeke éditeur, 2000
. Pour les pommes de terre au mois de mai, voir http://www.alsacedunord.fr/sites/default/files/Breve%206%20Calendrier_fruits_et_legumes_saison.pdf
. Pour la météo en 1936, voir http://www.meteo-paris.com/chronique/annee/1936
. Cliché des menus Elisabeth Poulain, autres clichés wikipedia, le vignoble en Alsace