Le site à Angers. C’était un endroit improbable, étrange par son implantation, son caractère à la fois vide et dérangeant, sans arbre, avec pourtant de la terre au sol, une terre plate sans relief, sans caractère. Un lieu plein de sans...situé aussi à la marge, à l’extérieur de la ville, ou plutôt entre-deux villes, Angers et Avrillé, sans lien avec rien, si ce ne n’est la présence d’une route nationale passant devant et d’un grand espace sur le côté occupé par des équipements sportifs et des casernes.
Sur le sol plat, sur cette terre, il y avait de l’herbe, du fenouil, du pissenlit, de l’orpin à certains endroits et aussi des ronces près des lieux qui avaient été habités. Parce qu’il y avait eu de la vie à sur ce site improbable du XXe siècle. Il en reste aujourd’hui un bâtiment dont la présence et la force rendaient le site encore plus curieux. Il y avait forcément des raisons à tant d’étrangetés.
Le terrain d’aviation d’Angers-Avrillé. Sur ce plateau qui domine la Mayenne au nord-est, il y a eu un terrain d’aviation. L’endroit avait été choisi par la Compagnie Française d’Aviation (CFA) pour implanter une école d’aviation et un aérodrome. Il lui fallait de l’espace, beaucoup d’espace, avec des maisons basses proches de façon à ne pas gêner l’approche et le décollage des avions. C’est aussi pourquoi il n’y avait pas d’arbre. Mais il y avait des hangars qu’on voit sur des photos anciennes, qui sont maintenant affichées au mur de gauche du couloir quand on arrive de l'extérieur par le porche central.
Les locaux de cette école privée de pilotage furent spécialement créés pour elle. Le concours fut remporté en 1936 par Ernest Bricard, un architecte angevin, qui avait proposé un bâtiment de prestige, doté d’une grande force géométrique, de style Art déco. Son message était de montrer la confiance dans l’avenir grâce à l’aviation qui devenait accessible à des jeunes passionnés qui voulaient en faire leur métier. Pour eux, il conçut un long ruban de 90 mètres de long, de deux étages de haut et de 8 mètres de large seulement, afin de faire entrer la lumière par de grandes fenêtres hautes qui rythment les façades. L’air aussi y joue son rôle, grâce à un porche ouvert sur les deux façades est et ouest. Un escalier en colimaçon permettait de voir l’arrivée et le départ des avions du haut du second étage.
Une école au destin tourmenté. Le Centre de formation, toujours désignée sous le nom de son fondateur, la Compagnie Française d’Aviation, ouvrit ses portes en 1938. Dans cette double fonctionnalité aéronautique et pédagogique, il ne dura que très peu de temps, l’Etat ayant choisi de rendre publique cette formation. En 1940, ses locaux furent occupés par l’armée allemande qui construisit des baraquements pour loger ses troupes et entreposer du matériel. Les bombardements des Alliées, qui visaient les châteaux d’eau proches en 1944 atteignirent aussi l’école qui fut remise en état en 1946. Le bâtiment tomba ensuite dans l’oubli. Il n’intéressait plus personne et fut rapidement dégradé. Il devint un terrain de jeux pour les jeunes du quartier et la proie des ronces.
Le réveil à partir de 1988-89. Cette fois-ci, ce fut l’intérêt architectural du bâtiment qui commença à percer en raison du passage en proximité de l’autoroute A11 en contournement nord d’Angers. Le projet autoroutier prévoyait en effet la destruction partielle du site, des doutes ayant été émis sur la solidité des bétons. Devant le tollé suscité par cette proposition, le CAUE, appuyé par des associations, sut montrer le caractère tout à fait singulier du bâtiment et sa force de témoignage dans le patrimoine architectural français. Après des négociations animées, le tracé fut déplacé pour épargner le bâtiment. Un compromis fut trouvé qui consista pour la ville d’Angers à prendre en charge le prolongement de la couverture de l’autoroute d’une centaine de mètres. Un succès ne venant jamais seul, mais quand même toujours lentement, l’inscription au titre des Monuments historiques fut acquise en 2004 et la réhabilitation de l’ensemble réalisée en 2005.
L’école a maintenant pour la première fois un nom et un nom qui lui va bien à plusieurs titres. C’est la Maison de l’Architecture, des Territoires et du Paysage qui abrite le Conseil en Architecture, Urbanisme et Environnement du Maine et Loire. Le bâtiment accueille également d’autres instances publiques toujours en relation avec l’architecture. Aux commandes du CAUE 49 et de la MATP, un architecte-urbaniste, Bruno Letellier, qui est un homme passionné par son métier en phase avec l’évolution de la société et la transmission par la formation.
L’ancrage dans la fonction pédagogique. Le CAUE conseille et accompagne les élus dans la maîtrise d’ouvrages publics. Il accueille et conseille les particuliers dans leurs projets. L’organisme départemental exerce également un grand rôle dans la diffusion de la connaissance et le développement de l’esprit de participation. C’est bien au nom de la transmission et du partage de la connaissance que le CAUE a pris contact avec l’Ecole d’Architecture de Nantes afin de conclure un partenariat entre les deux établissements. L’atelier de créativité « Utopies métropolitaines » s’inscrit dans ce cadre. Il est ouvert aux étudiants en master, sous la direction de Pascal Amphoux, architecte-géographe. Le thème de l’atelier choisi porte sur la nouvelle mobilité induite par le tramway sous le titre, « Faire métropole. La Ligne, les projets et les acteurs».
La force du changement. Elle se peut se voir d’une façon exemplaire à plusieurs niveaux. Dans le passé, à l’âge classique, ce plateau abritait des fermes comme l’a montré Rosemary le Rouzic, historienne à l’INRAP. Ce terrain n’était en aucune façon ‘vide’ quand on étudie son sous-sol. Il exerçait une fonction agricole affirmée, à l’orée de la ville. Le plateau maintenant fait l’objet de deux grandes opérations urbaines jointives, à Angers le Plateau des Capucins, à Avrilllé le Plateau Mayenne.
Des nouveaux immeubles de bonne hauteur sont en cours de finition actuellement. On les voit directement de la façade arrière du bâtiment, qui du coup retrouve son sens. Dans l’axe médian perpendiculaire exact de de ce long bâtiment de 8 mètres de large, ouvert en son milieu, se trouvait la piste d’envol, que l’on pouvait aussi voir du haut du second étage, grâce à un escalier circulaire accessible du porche central.
Le 24 février 2012, Bruno Letellier est celui qui nous a accueilli au début de cette journée pour l’ouverture du colloque introductif qui a permis aux quelques 20 étudiants nantais et plus de rencontrer les 15 participants, élus, membres du CAUE angevins et acteurs du territoire en lien avec le thème choisi ainsi que par des personnes intéressées par la démarche, le thème de la mobilité grâce au tramway et le lieu. C’est aussi le directeur du CAUE, qui a fini la journée, avec le récit de l’histoire du site. Le billet que vous pouvez lire est d’ailleurs une retombée de sa présentation qui a permis d’apporter un éclairage nouveau sur le lieu qui nous accueillait. Il faut toujours aussi savoir regarder le ciel et voir d'où vient le vent. D'ailleurs le site maintenant accueille un héliport qui n'est pas encore ouvert.
Après cette journée très riche en informations par les intervenants, questionnements de la part des étudiants et échanges entre tous, l’évocation de l’histoire de la Maison de l’Architecture, des Territoires et du Paysage a sonné comme un dernier coup de théâtre pour marquer la fin d’une riche journée, co-organisée par Franck Gautré, architecte-urbaniste au CAUE et Pascal Amphoux, architecte-géographe et enseignant à l’ENSA de Nantes.
La dynamique de la mobilité. Elle a été constante tout au long de la journée. On a beaucoup parlé du tramway, puisque c’était le thème du colloque en lien avec la métropolitisation de l’agglomération angevine (33 communes). Deux élus, Jean-Luc Rotureau, vice-président de l’Agglomération, en charge de l’Urbanisme à Angers et Jeanne Robinson-Behre, en charge de l’Urbanisme à Avrillé, ont resitué la vision territoriale en phase avec la volonté politique.
D’autres mobilités ont bien sûr été évoquées, avec la transformation de la route nationale à cause du tramway devant la Maison de l’Architecture, l’autoroute proche, les chemins de promenade le long ou à travers les lanières végétales des deux plateaux, le vélo avec lequel les étudiants sont venus à partir de la gare d’Angers. Ils ont fait le parcours Nantes-Angers avec le train régional, un RER. En résidence de travail pendant une semaine, ils pourront se déplacer en toute autonomie grâce au vélo, pour se rendre à leurs rendez-vous professionnels et voir le site, puisqu’ils ont pour travail, par petits groupes, d’étudier une à deux stations du tramway.
L’Utopie et la Créativité. L’atelier a pour nom « Utopies métropolitaines ». Je devrais donc parler de l’utopie au pluriel. Je choisis de le préférer au singulier pour mieux faire ressortir sa dimension symbolique, l’homme par définition étant un être utopique. L’utopie en tant qu’outil peut se définir comme un mode de raisonnement pour élargir le champ du possible. C’est l’objet du workshop, dont nous n’avons vu que cette journée de rencontre avec les professionnels, préparée la veille par la rencontre entre les étudiants et leur enseignant pour déterminer leur travail et leurs modes d’intervention le lendemain.
Quant à la créativité, toute la journée du 24 février a été placée sous ce signe, dans les prises de parole des étudiants qui ont tramé toute la journée, dans la façon dont les intervenants ont été totalement intégré dans le processus pédagogique, non seulement classiquement en intervenant, mais aussi surtout en répondant parfois les uns pour les autres, revenant sur des réponses et dégageant à chaque demi-journée des conclusions de conclusion, dans un tempo très rapide et dans le temps d’une journée longue sans pause, à part celle de midi pour déjeuner. Et encore, même ce temps a été utilisé pour échanger !
Pour suivre le chemin
. Pour avoir une vue synthétique sur l’atelier avec les étudiants de l’Ecole d’Architecture de Nantes ---) http://www.caue49.com/Colloque-Faire-metropole-La-ligne.html?id_mot=10
. Pour une histoire détaillée du CFA par certains de ceux qui y furent formés ---)
http://www.jean-maridor.org/promo_z/francais/avrille.htm
. Pour une étude synthétique très documentée de Sandrine Prouteau ---)
http://www.matp-angers.eu/La-Compagnie-Francaise-d-Aviation.html
. Pour une approche de l’Utopie, http://expositions.bnf.fr/utopie/arret/d0/index.htm
. Sur ce blog, voir l’article du 24.11.2008
Ville durable, le Plateau Capucins-Mayenne, Angers-Avrillé (49)
. Deux remarques méthodologiques sur ce billet
. Comme point de départ, je me suis basée sur l'intervention de Bruno Letellier. J’ai ajouté dans ce récit des données récoltées au courant de la journée en provenance d’autres intervenants. Je n’ai pas cité tous les intervenants ni relaté leurs propos. J’ai prévu de parler au moinsd'une des quatre belles balades urbaines dans le pôle métropolitain, faites avec le CAUE49, qui ont eu lieu courant 2011 dans le cadre du PLU. Le nom des balades « Changeons de regard sur notre territoire ». Il est vrai que si la journée a été très orientée sur le territoire et l'architecture, il a peu été question du paysage. C'est justement un des thèmes du workshop sur lequel ont travailler les étudiants.
. Pour finir, une question de plan. Pour construire ce billet, j’ai utilisé classiquement la technique du récit historique, en déroulant les changements dans le temps, avec un plan linéaire descendant (PLD), avec un début et une fin. Pour apporter un certain décalage, j’ai aussi raconté cette histoire partiellement avec un plan circulaire ouvert (PCO) centré sur 9 thèmes qui peuvent tous être corrélés ensemble à savoir : l’homme ---) la terre ---) la pierre ---) le papier ---) le temps ---) la couleur ---) le trait ---) le je-jeu ---) le feu---) l'homme...
. Les neufs éléments du plan circulaire ouvert sur le changement sont présents à des titres divers dans le billet. Ils l’ont été aussi grâce aux témoignages des intervenants :
.1 L’Homme d’hier, d’aujourd’hui et de la ville de demain ---) Tous les 14 intervenants.
.2 La Terre, sur laquelle les deux éco-quartiers sont érigés ou située dans des quartiers voisins ---) Tous les professionnels et en particulier l'architecte Roland Korenbaum et l'archéologue. Rosemary Le Rouzic.
.3 La Pierre, c’est celle avec les quelles sont érigés les châteaux et les bâtiments du XXe siècle ---) Tous les professionnels et en particulier Emmanuelle Quiniou (AURA).
.4 Le Papier, c’est un mot que j’ai peu utilisé pourtant indispensable dès lors qu’on parle de transmission des connaissances par le livre en particulier---) Utilisé par l'archéologue en particulier lors des références à des cartes (Cassini). Cité aussi par Pierre-André-Vincent de l’association du Quartier des Capucins et son travail de mémoire, à propos du quartier des Hauts de Saint-Aubin (ex-quartier Verneau).
.5 Le Temps, il en a beaucoup été question, avec le temps de l’occupation agricole, le temps de la construction, de la dégradation, de l’oubli, de la remise en lumière, de la réaffectation…---) Rosemary Le Rouzic (INRAP), Sophie Bellet (SARA), Sophie Denissof, Bruno Letellier...
.6 La Couleur. Il en a été question, de façon indirecte, avec des photos du site sous la neige.
.7 Le Trait, la ligne graphique, il-elle est constamment présent-e dans le bâtiment ---) Bruno Letellier.
.8 Le Je-Jeu, il en est toujours question dès lors qu’il y a témoignage ---) Le seul intervenant a avoir fait de l’humour, accueilli avec plaisir par les étudiants, a été Philippe Debove, le directeur du marketing de Kéolis Angers. C'est lui aussi qui a montré des très belles photos du site sous la neige. Pour la dimension personnelle - le « Je » - on parle toujours de soi quand on intervient sur des sujets comme l’urbanisme, l’architecture…la société.
.9 Le Feu, c’est le feu des bombes , c'est aussi celui de la création ---) Un des axes forts de la journée.
. Photos Véolia pour la Neige, Elisabeth Poulain pour les autres, à voir dans l'album-photos "Angers" pour le bâtiment et dans "Personnes2", un sous-album de Personnes, pour les personnes! Les photos du site ont été prises en fin de matinée quelques jours après. Sur la 3è vue, on voit bien la proximité avec les châteaux d'eau de l'autre côté de la rue.