P.44 WBW > Les Habits des Vins d'Emotion > Le Je-u par la mixité culturelle
La pluralité des fonctions de l’étiquette a pour conséquence d’ouvrir la palette des expressions du vin à d’autres formes de communication. Plutôt que de parler de sa famille ou de faire de l’humour, le vigneron ou la personne en charge de la représentation du vin peut préférer une autre façon de donner du sens en se référant à l’ univers culturel. Grâce à ce jeu de miroir, on assiste à un mariage plus ouvert de l’art du vin avec la littérature, la musique, la sculpture, la peinture... Et aussi et surtout grâce à l’innovation et la création d’un designer ou d’un artiste qui devient, dans les meilleurs des cas, un partenaire et/ou un prolongement naturel du vigneron. Parler de soi en faisant appel aux arts classiques que sont la littérature, la poésie, la peinture, le dessin et à de nouvelles alliances avec la sculpture, les recherches sensorielles, la musique est une façon naturellement culturelle de dire quelque chose dans l’univers du vin.
Les grands auteurs sont vraiment ignorés à quelques exemples près.
Une seule exception, Rabelais parce qu’il ose dire tout haut ce qui se murmure tout bas : « buvez mais buvez donc et commencez par vous amuser ! » C’est à Chinon, le pays natal de Rabelais - il est né à Seuilly à quelques kilomètres de Chinon, que l’on trouve le plus d’attachement à Rabelais, si touchant qu’il rend le grand homme vivant.
841. Marc Plouzeau du Château de
la Bonnelière, associe Rabelais à un Chinon ‘Rive gauche’. Le sien est un dessin très enlevé de fin de repas de Gus, dessinateur au Figaro, invité pour les 500 ans de François Ier,
avec l’homme de lettres qui crie « Vive Chinon » en levant son verre. La contre-étiquette est aussi qualitative avec la reproduction d’une gravure de François Rabelais et un extrait du
Livre 1, Chapitre 5 « Les Propos d’un Buveur » : Remède contre la soif : « Courez toujours après le chien, jamais il ne vous
mordra ; buvez toujours avant la soif, jamais elle ne viendra. »
- Outre Rabelais, Charles Joguet citait pour son Chinon rosé un autre grand poète, Omar Khayam, qui sait, en un quatrain, associer pour son plaisir la saveur du printemps, les fleurs des champs et une belle fille qui lui apporte une coupe de vin. Actuellement le quatrain, qui figurait sur l’étiquette de 1978, a simplement été remplacé par les coordonnées de Kermit Lynch, « marchand de vin » à Berkeley en Californie et l’étiquette est restée inchangée même dans la signature de Charles Joguet :
« Il faut que… Boire ce vin très frais ! …
Malheur au cœur où il n’y a pas le feu !
Puis le jour que tu passes sans boire de vin,
Dans tes jours pas de jour plus perdu que ce jour ! » Omar Khayam.
Charles Joguet, peintre, sculpteur, Sazilly
Il est de ces vignerons que tout le monde connaît, par son nom donné au domaine, créée en 1874 à Sazilly face à Chinon de l’autre côté de la Vienne. Il a été un des grands qui ont su pousser le Cabernet Franc dans ce qu’il a de meilleur, un de ces aventuriers du vin capables de prendre de grands risques pour que le raisin puisse s’exprimer dans sa matérialité la plus fine et sa spiritualité la plus intense. Il est un de ceux qui ont cherché à connaître le goût du vin de raisin issu du provignage. Maintenant le domaine suit sa vie propre et Charles Joguet la sienne. Il a toujours l’amour du vin, il a retrouvé pleinement aussi celui de la peinture qu’il avait déjà quand il se consacrait à ses expressions de vin mais sans pouvoir s’y adonner. Il a fait les Beaux-Arts de Paris avant de s’engager dans le vin. Chacune de ses vies est exclusive, on ne fait pas les choses à moitié quand on s’appelle Charles Joguet. Vouloir trouver un lien entre les deux l’agace prodigieusement d’ailleurs. Il vous le dit tout net, en entrée de jeu.
Il peint de grandes toiles d’une forte vitalité, avec des couleurs intenses qui tournent pour beaucoup d’entre elles sur le mystère et la grandeur de la création du monde. Oh, ce n’est pas lui qui donnerait de tels titres, lui peint et s’efface derrière ses toiles pleines de couleurs, de force et de vie, comme naguère derrière ses vins. Pour trouver d’autres sensations, d’autres plénitudes, il est aussi sculpteur et a toujours à portée de main un ou deux de ses bronzes pleins de rondeur sur une table dans son atelier qui fait face à la vigne. Ecouter ce grand peintre parler de son cheminement dans la peinture face à la neige qui tombe à gros flocons de l’autre côté de la vitre qui nous sépare de la vigne en pente douce au cœur de l’hiver est une aventure rare. Charles Joguet revenait d’une exposition à Tours et prenait plaisir à redonner à ses toiles la place qui est la leur dans son atelier, avant de partir orner d’autres mûrs. Leurs noms : Le Chant du Ciel jaune, Curieux Regard, Rue de la Joie blanche, Missing, Le Dernier Contrôle…
- Bellae Domini, la version latine de La Belle du Seigneur, le titre d’un célèbre roman d’Albert Cohen, écrivain suisse, est attribué par Christian Chabirand à un vin de pays du Prieuré La Chaume.
- Florent Baumard pour son Savennières, Clos de la Folie, commence les citations d’auteurs qui parlent de la folie par « C’est être fou que d’être sage » Baïf, poète français du XVIè siècle et ami de Ronsard.
- Mark Angeli cite e.e. cummings (sans majuscules) un poète, écrivain et peintre américain au dos d’une des étiquettes de Rosé d’un Jour, un Vin de Table de France : « Tant que nous aurons des lèvres et des voix pour embrasser et pour chanter, qu’importe qu’un fils de pute invente un instrument pour mesurer le printemps. 2004. »
842. Quant à la cuvée ‘La Rouge et Noire’, en Saumur Champigny du Domaine Fouet, Saint Cyr en Bourg, elle aurait été tout autant trouver sa place dans le SIGNE du Je-u.
Pour suivre le chemin
. Le prochain billet sera consacré aux liens entre le vin, la peinture et le dessin.
. Toutes les étiquettes de ce SIGNE du JE-U en 8Labels dans l’album photos.