P.26 WBW > Les Habits des Vins d'Emotion > Le rose en attraction
Chaque année, les designers et les décideurs se réunissent pour sélectionner les couleurs des saisons à venir. La mode, car c’est d’elle dont il s’agit, est tout autant portée par les formes ou les matériaux que par les couleurs. Le Signe de la Couleur amène à réfléchir sur le langage de la couleur, qui est déterminée par la rencontre entre une culture, une époque et une émotion. Elle est en effet d’abord l’expression d’un code culturel qui marque le consensus existant sur le sens de la couleur à un moment donné. Sur les premières cartes géographiques, la mer avait une couleur marron, elle est maintenant bleue comme il lui arrive de l’être quand le ciel est bleu. Elle peut aussi être verte ou franchement brune parfois, laiteuse d’une harmonie ‘couleur d’huître’ à l’embouchure de la Loire à la rencontre entre l’eau douce et l’eau de mer.
La couleur a toujours été un mode de communication très utilisée dans les siècles passés, comme le montrent les blasons, les tapisseries, les vitraux, les fresques, les peintures, la statuaire sacrée qui était peinte... Chaque époque a ses codes couleur, chaque culture aussi. Ce qui change, c’est le regard que nous portons et donc la façon d’utiliser la couleur. Nous savons maintenant que la couleur parle. Elle est un monde communication capable de tout exprimer.
C’est l’importante question de la couleur de la layette, rose si c’est une fille, bleu ciel pour un garçon. On retrouve ce clivage pour le vin avec l’attribution de la couleur rose pour les femmes, surtout pour du vin rosé qui est une des spécialités de la Loire. Nommons les Rosé d’Anjou, Cabernet d’Anjou, Cabernet de Saumur, rosés de Touraine et de Sancerre. Le rose est aussi la couleur de la rose, la fleur qui symbolise l’amour en Occident ; sa proximité sémantique avec la rosée du matin conduit à la fraîcheur et donc à celle du vin, à boire frais. La conclusion s’impose : la couleur rose va bien au teint des femmes qui aiment le vin rosé avec une étiquette rose, sans que cette couleur ait de valeur symbolique en soi. De plus en plus d’entreprises, grandes ou petites par le chiffre d’affaires, recourent aux services de stylistes-femmes pour émettre en langage ‘femme’.
601. Jean-Max Manceau, vigneron du Domaine de Noiré, a ainsi fait appel à une jeune maquettiste pour concevoir sa grappe de raisin aux baies rosées pour du Chinon rosé. Il est absolument convaincu qu’il faut une femme pour parler aux femmes, comme un grand nombre de vignerons de l’appellation d’ailleurs.
La corrélation entre la couleur du vin et la couleur de l’habillage n’a rien d’une évidence. On assiste actuellement plus encore que par le passé, à une véritable valse des couleurs quelque soit la couleur du vin:
- une étiquette blanche, or, noire pour du vin blanc qui est jaune, jaune d’or, jaune-vert… mais en tout cas jamais blanc. Maintenant on l’associe au bleu, au vert avec l’orange en étiquette pour du vin blanc et de l’ivoire, du crème,
- une étiquette blanche, or, noire pour du vin rouge, mais aussi maintenant du bleu, du violet, de l’orange pour du rouge et aussi beaucoup de crème, ivoire,
- une étiquette rose pour du vin rosé et maintenant blanc, avec beaucoup de variations possibles.
Une des raisons de l’attirance du rose vient d’abord de la transparence du verre de la bouteille dont nous parlerons plus avant dans le Signe du Feu qui laisse maintenant s’exprimer la couleur du vin. Un verre ‘blanc’ (transparent) avait une image peu qualitative. Jusqu’à la fin du siècle dernier, le vin était plutôt à protéger contre la lumière naturelle ou artificielle propre à casser le vin. C’est toujours vrai pour les vins de garde qui ne doivent toujours pas être exposés à la lumière. Par contre, au moment de l’achat, pouvoir apprécier la couleur d’un vin destiné à l’usage immédiat constitue indéniablement un atout pour des vins rosés ou blancs. Faut-il pour autant que tous les vins rosés communiquent de la même façon ? Absolument pas, comme le montre les exemples ci-dessous.
602. Charles Joguet a coloré de rose saumon accentué son étiquette portant sa maison pour son Chinon rosé.
603. Le Chinon rosé du Château de la Grille est vêtu d’une étiquette rose pâle.
- Par contre, le Rosé de Loire de Jean-Yves et Anita Lebreton du Domaine des Rochelles porte une étiquette grise moyen foncée qui reste dans la gamme chromatique des vignerons : bleu ardoise, gris mousse, gris ou noir.
- Le Sancerre rosé, Les Romains, de Pascal Gitton ne joue pas non plus sur le registre de genre. Le vigneron a son rose comme il a son bleu qu’il traite de façon très classique et avec beaucoup d’énergie sur une étiquette presque carrée entouré d’une double bordure avec des mentions en lettres romaines. Un aigle blanc puissant déploie ses ailes sous le nom de la cuvée ‘Les Romains’.
Pour renforcer le sens de cette
couleur, il est possible aussi de décliner les différentes variétés de roses en associant
fleurs et femmes : ce sont des roses qu’un homme offre à la femme qu’il aime. Déjà dans l’Antiquité, Aphrodite était la déesse des rosiers. « Mignonne, allons voir si la rose qui ce
matin… », écrivait un certain Pierre Ronsard né en 1524 au Château de la Possonnière à Couture sur le Loir et mort à Saint-Cosme en l’Isle près de Tours en 1585.
- Roséal est le nom d’un Saumur brut rosé du Château de Montguéret de Dominique Lacheteau. L’étiquette est ornée de deux roses, la capuche rose également dans une harmonie de plusieurs roses, les
deux tons de l’étiquette, celui de la capuche assortie à la bordure claire et les roses de la rose, sans oublier le rose vif et tonique du vin.
604. Le Cabernet d’Anjou, Arrogance, d’Yves Guégniard, Domaine de La Bergerie a pour étiquette haute et étroite une fleur très fine choisie par son créateur, le peintre angevin Jean Louis Rondeau.
Sa dernière grande exposition au Grand Théâtre d’Angers a pour nom « Traces de vie », avec ce sous-titre « du blanc au noir en passant par la couleur ». L’Homme qu’il trace d’un jet d’encre de Chine est une panthère ramassée prêt à bondir, La Femme un éclair vertical prête à se déployer. Il y a tout, l’énergie, la vitesse arrêtée, la finesse… Il aime les grands formats et sait aussi concentrer sa sensibilité qui est grande, sur une très petite surface, une TPS, comme on ne dit pas encore… Sa petite dernière est un rectangle de 14 cm de haut sur 5 cm de large. La fleur à la robe jaune or s’élance, se lance sur un fond rose pour une étiquette de vin… Parce qu’une TPS de JLR est une fenêtre qui s’ouvre sur des émotions comme le vin est une affaire de rencontre et d’émotions ! Actuellement, Jean-Louis Rondeau travaille sur la transparence et la lumière associées à l’explosion des couleurs : ses oeuvres actuelles portent sur le mystère de la conception sous le nom d’Echographies.
Décider d’une couleur ne serait rien s’il n’y avait en même temps un gros travail portant aussi bien sur la technique de vinification que la communication sur le goût fruité-sucré du vin. L’extension de la planète rose pour plaire aux palais des femmes d’abord et des jeunes ensuite oblige à redéfinir le style du vin. Celui-ci doit répondre à trois caractéristiques : beaucoup de fruit, du sucre pour renforcer le fruit et une pointe d’acidité, comme pour une friandise, pour équilibrer.
605. Soupçon de Fruit lancé par André Lacheteau dans le cadre d’une gamme Parfum de Loire en début 2003 est un Cabernet d’Anjou aux notes de fruit et de fraîcheur. Quelques groseilles évoquent le fruit et la fraîcheur est donnée par la transparence. C’est la première marque de vin de Lacheteau de Doué la Fontaine avec un packaging innovant affiné avec une jeune styliste.
L’extension de la planète rose a été très rapide. C’est ainsi que le Muscadet a beaucoup bénéficié de l’effet chaleur de 2003 et de la mode du rose. Il a pour beaucoup perdu de sa couleur vert pâle et de son goût parfois un peu acide, pour adopter de la rondeur, des couleurs beaucoup plus douces jaunes d’or du fait de nouveaux modes de vinification plus sur le fruit.
606. Comme en témoigne un Muscadet de Marie-Luce Métaireau, Grand Mouton de Saint-Fiacre avec sa cuvée « 0’féminin » paré d’un habillage déclinant rose vif et orangé tonique. Pour Marie-Luce Métaireau, le rose est une très belle couleur, qui respire la vitalité et la gaieté et dont il faut savoir ne pas abuser sous peine de tomber dans un autre conformisme qui pourrait être réducteur pour le vin.
Frédérique Barbier, peintre, Nantes
C’est vraiment une belle aventure que de travailler avec Marie-Luce Métaireau aux commandes pour le vin et Gisèle Taelemans pour la communication. Moi je suis le peintre du trio. Pour ces trois cuvées O’féminin 2003, 2004 et 2005, chaque année, j’ai fait quelque chose de différent parce que chaque année le millésime est différent. J’ai la chance également de participer à la sélection de la cuvée par le jury de professionnelles du vin. Ma première étiquette a beaucoup étonné : elle présente une partie du visage d’une femme qui interpelle. Elle ne sourit pas, elle est grave et pourtant elle dit beaucoup sans maniérisme, d’une façon forte. La seconde surprend une danseuse en mouvement, les bras en l’air, des fleurs s’échappent de ses cheveux et la troisième semble sortir d’une fleur. J’aime la musique, la danse… En couleur, le rose pour moi se décline avec de l’orange et du blanc, et un peu de noir pour donner les vibrations que j’ai transmises dans mes étiquettes. La peinture est une aventure humaine chaleureuse.
Oh non. Il peut être intéressant aussi avec des rouges surtout quand on est une femme vigneronne.
- Au Domaine des Dames de Laurence Pozucek, le Mareuil Fiefs Vendéens La Vallière du nom de la Grande favorite de Louis XIV, est un assemblage de Gamay, Cabernet et Négrette, sous étiquette rose et violet. Le rosé est Montespan, une autre favorite du roi.
La femme et le rose
Quant à la femme, il est possible de lui parler de nombreuses autres façons, en particulier en donnant à la cuvée un nom de femme, qu’elles soient favorites, comme on vient le voir, nonnes (pour Madame Laroche Savennières Roche aux Moines), abbesses (au Château d’Eternes, Clos des Abbesses, Coteaux de Saumur), copines (au Domaine des Sablonnettes de Joël et Christine Ménard à Rablay sur Layon)... Avant l’arrivée de la couleur, c’était le langage premier de genre en distinguant selon le statut marital ou aristocratique de la dame en question:
- La Dame de Chatenoy pour un Menetou-Salon du Domaine Chatenoy,
- La Bourgeoise d’Henri Bourgeois de Chavignol, pour un Sancerre, richement parée d’or,
- La Demoiselle de Bourgeois à la parure beaucoup plus légère pour un Pouilly-Fumé,
- La Demoiselle d’Alphonse Mellot pour un Sancerre,
- Les 3 Demoiselles du Domaine Richou pour un Coteaux de L’Aubance,
- Les Demoiselles pour un Quincy du Domaine des
Ballandors,
- Les Demoiselles Tatin pour un Reuilly, au même domaine,
- La Grande Châtelaine de Joseph Mellot pour un Sancerre ‘Cuvée Prestige’,
607. La Duchesse pour un Sancerre de la Cave des Vignerons de Sancerre,
608. La Diablesse, qu’il valait mieux ne pas rencontrer au fond des bois, pour un vin de table d’Etienne Bonnaventure, sur une étiquette
conçue par Maddlen Herrstrom et
- La Diva, un Chardonnay, en vin de pays du Jardin de la France de Donatien Bahuaud.
Poursuivre le chemin
Ce billet n°26 marque l’entrée dans un nouveau cycle, celui des vins contemporains ouverts sur l’émotion. Ce cycle comprend trois chapitres dédiés à la couleur (6), au trait (7) et au je-u (8). Il sera suivi d’un prochain billet consacré aux ‘vibrations’ provoquées par les habillages de ces vins contemporains.