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Les marqueurs de temps : le blanc, le noir et l’or
Le blanc, le noir et l’or ont en commun de ne pas être des couleurs et d’avoir une portée symbolique d’une amplitude inégalée. Ils renforcent le sens des signes précédents axés sur la pierre et le papier et marquent aussi une rupture car, comme tout symbole, ils ne sont pas datés. Venu de ‘la nuit des temps’, ce trio continue son chemin propre. Chacun d’entre eux a beaucoup été utilisé pour conforter le Signe de Pierre et le Signe de Papier et connaît maintenant un nouvel essor grâce aux Signes de la Couleur, du Trait et du Je-u. Pour l’instant voyons en l’usage classique en montrant quelques déclinaisons actuelles, en commençant par le blanc.
Le blanc, une couleur ?
Le blanc est la ‘couleur’ la plus utilisée pour les étiquettes des bouteilles de vin, comme nous l’avons vu dans le Signe du Papier. Toutes les étiquettes sont claires à l’exception d’une seule, celle du Château de Montcontour à Vouvray. Le blanc se ‘marie’ naturellement avec les belles nappes et la vaisselle de qualité. Au-delà du blanc, il n’est rien. A ce titre, la couleur n’est pas une couleur. On ne peut aller plus loin que le blanc si ce n’est par des effets de contraste comme l’étiquette blanche sur une bouteille au verre presque noire ou des effets de matière, comme du papier sur du verre. En terme de tissus, le blanc est la couleur du propre, du renouveau avec le linge qu’on achète traditionnellement en début d’année après les agapes de Noël et de Nouvel An. C’est le blanc de l’offrande et c’est aussi la couleur du lait de la mère à son enfant. Le blanc est la somme de toutes les autres couleurs, en signe d’épurement. Il constitue un choix très fort pour la grande majorité des vignerons qui dit vouloir une étiquette sobre et élégante ou sobre et épurée. Est-ce à dire que l’élégance se traduise par l’action d’épurer et vice et versa ? C’est une hypothèse créative.
Le blanc, le fruit de l’histoire
Le vin blanc est blanc par différence avec le rouge ; en fait, il peut être pâle mais il n’est jamais blanc comme le lait par exemple. La couleur blanche de l’étiquette peut être réellement blanche mais avec tellement de diversité qu’on peut se demander si le blanc existe vraiment. Sa couleur change selon l’heure du jour, la lumière, le temps, la couleur et la forme de la bouteille, le contexte, sa propre humeur… Le blanc des étiquettes anciennes nous paraît terriblement jauni avec le temps. Il était propre à un développement technique, avant l’adjonction d’agents blanchissants dont le plus connu est l’eau de javel. Le papier un peu coloré accentue l’âge de l’étiquette, avec un côté fragile à préserver, pour :
536. un Quarts de Chaume du Domaine Chiron à Saint-Aubin de Luigné.
La couleur du blanc
C’est une question sensible. La vogue actuelle des blancs cassés, de la couleur ivoire, du crème s’explique parce qu’ils sont plus doux à l’œil. Ils sont déjà une réaction au trop de couleur qui peut être ressentie comme une agression. Le blanc pur est dur et nécessite une véritable raison pour l’utiliser. On retrouve alors la double question récurrente du sens et du style. Les franches réussites en matière de blanc sont rares, ce qui prouve a posteriori qu’il faut de l’audace pour jouer la carte du blanc et qu’il faut avoir une raison précise. Car il est des blancs toniques ou statiques.
537. La gamme des Melle Ladubay de la Maison Bouvet Ladubay utilise plusieurs formules de couleurs claires ou fortes, avec ou sans bordures, sur des étiquettes rectangulaires de taille moyenne. Les plus efficaces en terme de force et d’impact sont les blanches toniques, sans bordures, avec seulement un écusson or, comme par exemple Rosé brut.
La composition du blanc
Son origine peut être végétale comme le lin et le coton, animale comme la laine ou la soie, minérale avec la craie et le kaolin. La teinte coquille d’œuf peut apporter d’infinies nuances ; l’ivoire évoque une matière vivante au toucher très sensuel. Le blanc rime avec Loire de jolie façon, naturelle en quelque sorte ; il est vrai que le Chenin peut avoir cette couleur délicate.
538. Françoise Flao des Caves de Grenelle nomme Ivoire à un de ses crémants de Loire ‘Louis de Grenelle’.
Toujours dans le domaine du vivant, la crème du lait est plus colorée en été qu’en hiver, avec plus ou moins de jaune. Le papier crème pourrait être une façon de célébrer les saisons, plus pâle en hiver, plus chaud en été. Le blanc de la pierre de tuffeau avec lequel sont érigées les maisons du Saumurois offre une ample palette de couleurs selon l’âge et l’environnement de la pierre. Il se marie bien avec l’aquarelle dont le papier boit l’eau :
539. Château de Targé en offre un bon exemple pour un Saumur-Champigny Cuvée Ferry d’Edouard Pisani-Ferry.
Le sens du blanc
La légère colorisation du blanc en change le sens parce qu’on change d’univers : on entre dans le domaine des émotions pour attirer des amateurs plus sensibles à la douceur qu’à l’exigence de la pureté. C’est pourquoi les créateurs proposent des teintes très pâles déclinables à l’infini avec une pointe de couleur. A chaque blanc, son univers d’émotions véhiculées par le nom des teintes des blancs : lumière, reflet, perle, fraîcheur, cristal, sérénité, calme, sagesse, perfection…tels sont des dénominations du blanc relevées dans des nuanciers de peinture.
La brillance ou la matité du blanc
Le blanc devrait avoir deux mots différents, selon qu’il est brillant ou mat. Quoi qu’il en soit, la tendance est à la matité qui laisse entrer le regard en ne le bloquant pas par un effet reflet à moins de vouloir au contraire jouer l’effet miroir. La suppression des bordures d’une étiquette a souvent pour effet d’inciter le vigneron à porter plus d’attention à la forme de l’étiquette, au papier, à sa texture, à son grain et à la matité, comme si l’ouverture avait un effet qualitatif immédiat. Il devient alors nécessaire de mieux penser l’intérieur.
. Château Yvonne en Saumur Blanc et Rouge en est un bon exemple : le papier est un vergé léger, mat et tramé, de couleur crème claire. La typographie donne une impression de clarté et de calme. La teinte des mentions, vert mousse ou bordeaux foncé, est douce à l’œil et pourtant modifie la couleur du fond. La différence est impressionnante à l’œil quand on compare les deux bouteilles. Dans certains cas, c’est la brillance du papier qui est recherchée car elle fait bien ressortir un dessin traditionnel en noir et blanc. La brillance peut être de densité moyenne, qui convient bien à des étiquettes anciennes ou ne porter que sur les mentions imprimées.
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Le grammage du blanc
Pour l’heure, l’effet matière est surtout donné par l’épaisseur du papier. La technique des étiquettes autocollantes permet toutes les fantaisies. Il est donc possible de se laisser aller au goût du toujours plus épais, comme un lainage ou un feutre qui permet de jouer sur le relief et la profondeur. Comme un vin ne se découvre pas du premier coup mais en suivant des étapes.
- Il est possible aussi de parler plus à l’imagination qu’à la vision : c’est le pari tenté par Christophe Baudry et Jean Martin Dutour pour un Chinon ‘Blanc’ écrit blanc dans un petit carré côté rempli en un vert-gris mousse de feuillage délicat placé dans une étiquette carrée.
A l’autre bout de l’échelle de l’épaisseur, un papier à faible grammage peut aussi donner un effet léger de nature à s’adapter au vin et à ce que recherche le vigneron. Pour garder l’étiquette dans son jus, avec son sens et sa légitimité dans le temps, il peut être également intéressant de travailler simultanément le type de papier, l’allégement des mentions imprimées, des effets de superposition, la couleur des mentions et la capacité à gérer l’espace. Il s’agit d’optimiser l’équilibre entre l’écrit et le non-rempli qui n’est surtout pas vide :
540. Le Cabernet Sauvignon du Château La Berrière d’Armelle de Bascher, sur papier ivoire fin, a une force accrue par l’usage mesuré du noir de l’impression du nom du château et du gris de toutes les autres mentions, avec en impression derrière le nom du château des armoiries de la famille.
Il est évidemment possible d’aller plus loin, avec un papier à effet trame comme le vergé dont le coût est environ le triple d’un papier courant ou avec des mentions réduites pour valoriser le support en reportant la partie réglementaire sur la contre-étiquette. La couleur des mentions peut être du brun, du bleu gris ou du gris pour ne pas avoir à utiliser le noir brutal. L’effet haut de gamme est garanti pour ces cuvées d’exception qui s’inscrivent dans un développement personnel du vigneron ou un millésime très particulier pour :
541. le Muscadet Sèvre et Maine, Semper Excelsior, Le Cru, Terroir de Schistes, Clos des Noëlles de Pierre Luneau-Papin, du Domaine Pierre de la Grange ;
542. l’Anjou-Villages, Cuvée Andégave, du Domaine Sauveroy de Pascal Cailleau qui présente l’emblème du domaine « SAU-VE-ROY » en évolution blanche cette fois-ci.
Vers la disparition du papier
Une autre tendance est de pousser jusqu’à la disparition du papier et d’aller vers la transparence totale pour des
étiquettes en plastique invisible de dimensions de plus en plus réduites que nous verrons dans le Signe de la Couleur. Mais on sent bien
intuitivement qu’une étiquette transparente en plastique ne dit pas la même chose qu’une étiquette blanche. C’est déjà le cas pour des Crémant en particulier dotés d’étiquettes transparentes. La
suppression de l’étiquette dans ces deux cas conduit à passer au noir.
Pour suivre le chemin
. Le prochain billet du SIGNE du Temps sera consacré au noir.
. Vous pouvez retrouver toutes les étiquettes de ce SIGNE, qui forme le chapitre 5 de ma recherche, dans les albums photos, sous le titre de 5 Labels.