P.17 WBW > Les Habits des Vins de Tradition > Le Signe de Papier
C’est un nouveau chapitre du Cycle des Vins de Tradition qui s’ouvre. Après avoir vu
. en Ier le Signe de l‘Homme, basé sur l’Expression, celle que le
vigneron imprime à sa vigne et son vin (Cycle des Vins d'Expression),-
. en 2, le Signe de Terre, fondé sur l’Ancrage de l’homme, de la vigne et du vin dans un jeu sublimé (Cycle des Vins d'Expression)
. en 3 le Signe de Pierre qui marque l’Elévation de l’homme de la vigne et du vin grâce au château (Cycle des Vins de Tradition).
Ce billet n° 17, consacré à l’habillage de la bouteille de vin, The World through the Bottle of Wine, ouvre le chapitre 4, le Signe de Papier qui est synonyme d’Identification du vin, de la vigne et de l’homme.
Sa force qui porte la culture
Ce Signe de Papier est plus fort que la terre, la roche, l’eau, le vent, plus fort que la vigne, le chêne ou le peuplier dont on fait la pâte à papier pourtant. Il est plus résistant que le Signe de Pierre dont on fait les châteaux, les églises, les moulins et les maisons bourgeoises. Il fait équipe avec le Signe du Feu, celui qui est à l’origine du verre. C’est même souvent la seule chose qui reste quand le vin est bu et la bouteille cassée. Il identifie un vin, un terroir et celui qui sait ou a su le magnifier. Il sait tout faire et tout exprimer. Il est un trait d’alliance entre toutes les composantes de la culture du vin. Il porte et sauvegarde la culture.
Matériau vivant, le papier s’adapte à toutes les situations, à tous les supports et au verre en particulier. Actuellement il connaît trois évolutions majeures, l’une technologique en association avec l’aluminium ou le plastique, l’autre avec le renouveau de l’art du papier fait main - avec une diversité de matériaux qui sont une incitation à rêver - mais pas encore réellement présents sur une bouteille du fait des difficultés d’encollage et/ou de coût. Une démarche nouvelle consiste aussi dorénavant à se préoccuper de la dimension environnementale de l’encollage.
Quelques mots d’histoire
La longue histoire du papier embrase le monde. Elle est la marque du génie humain à concevoir de nouvelles matières très sensuelles tout autant que spirituelles. C’est en Chine que le papier est né sous la quadruple rencontre des fibres du bambou, des écorces du mûrier du lin et du chanvre au 3ème siècle avant Jésus-Christ. Il se diffusa ensuite au Japon et dans les pays arabes et seulement en France au début du 14ème siècle qui marqua le développement des moulins à papier.
L’homme savait dessiner et écrire depuis la préhistoire mais il lui fallut inventer le papier pour développer une mémoire et diffuser la connaissance. Le Monde arabe fut le premier à s’en servir pour porter la parole sainte et la parole savante. L’invention de l’imprimerie de 1440 par Gutenberg provoqua la disparition du parchemin et l’essor de l’imprimé sur papier. Les artisans français furent ensuite parmi les plus expérimentés d’une véritable Europe d’un papier qui se faisaient encore à la main.
L’alliance du papier et des valeurs
Le papier a une formidable capacité à véhiculer des valeurs, du sens et du style au-delà des frontières. Il transmet des informations objectives sur lesquelles nous reviendrons mais aussi des données subjectives. C’était déjà le cas au 19ème siècle dans l’exemple du Château d’Epiré à Savennières. Le papier de cette étiquette a maintenant une couleur grisée-terre claire ; sa blancheur est atteinte par la capacité du temps à tout modifier. Son grammage est faible, 50-60 grammes, sa main aussi (la main désigne le rapport épaisseur/grammage). Et pourtant il est si vivant.
Le papier transmetteur de sens
L’invention du papier Bristol date de 1838 dans la ville du même nom en Angleterre et il ne fallut que la fin du siècle pour que bristol désigne la carte de visite en papier épais (180gr). Nous en conservons le nom alors que nous ne faisons plus de visites et que nous en avons oublié le code. L’important était plus l’utilisation qui en était faite en fonction de la qualité du destinataire que l’information objective portée dessus. La carte de visite est l’ultime pointe visible d’un iceberg invisible. En France, l’usage en a été réglementé par la classe bourgeoise au 19ème siècle sur le modèle des règles de politesse de la noblesse. La personne à qui vous donniez ou faisiez parvenir votre carte savait à qui elle avait affaire et comment s’adresser à vous. D’où encore aujourd’hui l’extrême importance de ce condensé d’informations personnalisées qui ne peut exister que parce qu’il y a un réseau avec ses codes sous jacents. Dans la vision classique, les informations données sur la carte de visite sont portées au centre de façon stable, équilibrée et ordonnée. L’objectif est de faire bonne impression et de donner confiance.
L’étiquette-carte de visite
L’étiquette de vin offre de nombreux points communs avec la carte de visite. A commencer par son nom et cette question : pourquoi un même mot désigne-t-il à la fois le code de bons usages dans une cour royale et l’étiquette collée sur la bouteille de vin ? Une explication viendrait de l’ancien français ‘estiquer’ signifiant attacher un petit écriteau à un objet par un lien. Ce double degré de signification montre bien l’imprégnation de nos esprits face à l’étiquette-code social et l’étiquette-bouteille. Comment peut-on penser que la seconde puisse s’affranchir de la première ? cela n’est tout simplement pas possible. Ce serait contraire au sens. En cela déjà, le vin est forcément culturel et l’étiquette et la bouteille vont à leur tour créer de nouveaux usages.
L’étiquette de vin a également en commun avec la carte d’identité qu’elle est plus importante par ce qu’elle ne dit pas que par ce qu’elle dit. D’où les réticences et des vignerons et des amateurs de vins élitistes, de ceux qui ont une histoire et qui font l’histoire, de ne pas donner trop d’informations. Le risque serait de tuer le désir, le mystère, le sentiment rare de faire partie d’un petit clan. On comprend mieux le conflit qui peut exister entre le désir de dire peu pour suggérer beaucoup et la contrainte réglementaire très réelle qui s’applique à tous. Cette ‘oppression réglementaire’, pour certains, permet de faire groupe contre ceux qui veulent casser ce code et ces usages, à savoir les réglementaristes de toute obédience, française, européenne ou mondiale.
L’étiquette de vin a évidemment ses objectifs et ses caractéristiques propres. Le papier ne doit pas être trop épais pour pouvoir être collé sans difficulté. Mais il doit être de qualité pour donner du sens. On ne comprendrait pas qu’un vin haut de gamme puisse être vendu sous un habillage de piètre qualité. Ou alors il faut revoir le terme de qualité. Une bouteille conservée en cave verra son étiquette vieillir avant l’heure ou se décoller du fait de l’hygrométrie nécessaire à la bonne conservation. Il existe alors une noble raison parce que la beauté vient du sens et le sens découle de la cohérence.
Ce n’est pas tant l’épaisseur du papier qui est en cause que sa couleur, son toucher et son aspect visuel. Le papier est doux et chaud au contraire du verre qui est froid. Il peut être lisse ou granité avec du relief. Il peut aussi avoir un effet de trame, c’est le cas du vergé. Les variations sont maintenant infinies au choix de celui qui décide, qu’il soit en amont -vigneron ou négociant- ou en aval –distributeur, caviste ou client.
Car c’est bien une question de liberté qui est au coeur du Signe de Papier. Très intéressantes sont les volontés de communiquer simplement, avec une étiquette blanche et sobre qui annonce le Signe du Temps avec des lettres droites et posées :
401. Clos des Nouys, un Vouvray demi-sec, a une étiquette hors d’âge et d’une grande force, sur un papier très blanc, des mentions en couleur vert-beige-jaune doux, structuré par deux lignes fines en argent pour distinguer trois parties inégales dans l’étiquette, le Clos puis Vouvray et enfin Demi-Sec avec les mentions en bas.
402. Le Crémant de Loire de A. Papiau porte une étiquette ancienne ornée d’un blason contenant un lion blanc et une grappe de raisin sur fond or vieilli, encadrant grâce à une couronne de laurier le nom de l’appellation.
403. C’est un Saumur, Vieilles Vignes, du Domaine Langlois-Château qui a la forme, la dimension et le style d’une carte de visite très qualitative, en mentions noires, grises et un soupçon d’or
pour la signature Langlois-Château, Producteur.
404. Un Sancerre, sélection de Tesco (la grande chaîne de distribution anglaise), utilise aussi une carte de visite sur papier blanc, plus grande que la précédente, avec Sancerre en bas du tiers supérieur de l’espace, associé au millésime. Une mention oblique très fine est écrite en lettres manuscrites rouges figure en plein milieu: « bottled by Cave des Vins de Sancerre, 170 Avenue de Verdun, 18300 Sancerre, France ».
. Les prochains billets porteront sur le Signe du Papier, qui fait alliance avec le Signe de Pierre, que nous avons déjà vu, et le Signe du Temps qui formera le chapitre 5 et terminera le Cycle des Vins de Tradition.
. Photos EP, à voir aussi dans l’album photo sous la désignation de 4WBW Labels.
. Dessins des bouteilles et plan de la recherche, France Poulain
. Une réponse à un lecteur qui me demande pourquoi j’utilise l’anglais dans le titre de ma recherche (WBW > The World through the Bottle of Wine) et pour les étiquettes (Labels).
Pour la recherche, parler de l’habillage de la bouteille de vin est déjà plus exact que de dire que c’est un travail sur les étiquettes. Cette dernière dénomination est très réductrice et perçue négativement en France. Dire que l’on voit le monde à travers la bouteille de vin, c’est exactement sous cet angle que j’ai fait cette recherche pluri-annuelle auprès de plus de 250 vignerons. Et en plus c’est vrai. La façon que nous avons de matérialiser ce que nous faisons - dans le sens de rendre visible ou perceptible aux autres - est tout à fait révélateur de notre vision sociétale et du rôle que nous y avons, tenons ou jouons. L’homme ou la femme de vin a toujours cette problématique à résoudre.
Il y a en plus dans la langue anglaise une très jolie musique, une rondeur, une cadence, un jeu entre le W de World avec les lèvres qui s’arrondissent de la même façon qu’avec le W de Wine que ne donne absolument pas sa traduction littérale en français. La Bottle, au milieu des deux W, se sent bien entre le World et le Wine et la place au même niveau entre ces deux supports.
Pour les étiquettes, j’utilise en effet le terme de Label en particulier dans l’album photo. Cette fois-ci, la raison est autre. Le logiciel des titres des albums photos n’accepte que très peu de lettres et pas les accents. Il faut donc ruser et c’est ce que je fais.