P.16 WBW > Les Habits des Vins de Tradition > le Village en étiquette
Tous les villages n’ont pas de château ou de ruines visibles de l’extérieur, par contre tous ont une église dont le clocher sert de point de repère aux voyageurs comme le phare pour les marins. C’est le clocher qui est alors le parapluie protecteur - au sens propre cette fois-ci- pour attirer la foudre et au sens figuré, non seulement pour les croyants, mais pour la communauté villageoise. Villes et villages sont beaucoup moins retenus que le château, plus facile à revendiquer individuellement quand il est privé. Alors que le village et l’église ne peuvent par définition jamais être dans la sphère privée. Par contre, la culture du vin fait une très nette distinction entre la ville et le village. Seul le second terme est mis à l’honneur par la réglementation des appellations, jamais la ville, comme s’il existait un accord naturel entre la vigne, le vin et le village. On parle par exemple d’un Anjou-Village Brissac pour valoriser cette appellation par un ancrage restreint au village. Dans la culture française, la ville ne saurait être un vecteur porteur d’une image positive du vin. C’est ainsi que la ville de Brissac redevient, à la demande des vignerons, un village en terme de vin.
Parfois néanmoins, la ville est présente sur les étiquettes. Souvent on ne verra que la partie centrale proche du monument historique valorisant, réduite à la vision que l’on pourrait avoir d’un village réduit à quelques maisons. Dans les exemples suivants, la vue de la ville se fait de l’autre côté du fleuve, pour avoir du recul.
353. C’est le château de Saumur à l’arrière plan avec la ville, deux de ses églises et la Loire devant que Pierre Foucher a choisi de faire figurer sur l’étiquette du Saumur-Champigny ‘La Seigneurie’. Le lien entre le vin, le château, la ville, l’église et la Loire est d’autant mieux venu que la municipalité a fait replanter quelques pieds de vigne au pied du château. On peut discerner la maison du vigneron tout en haut à gauche de l’étiquette.
354. Le panorama précédent est à comparer avec la vue de Saumur qui se dégage de l’étiquette ancienne du Clos Cristal en Saumur-Champigny des Hospices de Saumur.
Une autre façon est de montrer sa maison. Elle marque l’enracinement de l’homme du vin dans sa terre et fonde la légitimité terrienne du vigneron qui vous présente sa maison pour dire qui il
est.
355. Régis Neau a demandé à un jeune peintre polonais de réaliser en aquarelle un dessin de sa belle demeure, symbole d’un art de vivre à la française, insérée au cœur de Saint-Cyr en Bourg pour un Saumur-Champigny.
Pour décliner l’ancrage, certains font des demeures de la famille un élément fort de leur stratégie de communication.
356. Paul et Frédérik Filliatreau ont choisi un dessin d’un remarquable ensemble de maisons troglodytes, La Grande Vignolle, pour un Saumur-Champigny,
357. la maison est attribuée à un Saumur Paul Filliatreau, tandis que le Saumur Domaine Filliatreau est un Château Fouquet, Cuvée des Douze Fûts (étiquette non présentée).
358. Pour rester dans cet instant d’arrêt du temps, voici, sur une étiquette ancienne, façon parchemin vieilli, encore utilisée avec succès, le Château de Plaisance pour un Coteaux du Layon des Rochais, Vieilles
Vignes.
Cette dernière mention est importante car elle justifie à elle seule l’étiquette. Elle annonce aussi
le Signe de Papier qui vieillit avec le temps.
Transition du Signe de Pierre (3) vers le Signe de Papier (4)
Le Signe de Pierre marque la légitimité d’un vin et/ou du vigneron par la durée et l’ancrage en un lieu. C’est le signe fondateur de la vision historique et culturelle du vin. C’est aussi celui qui est perçu en premier par les amateurs étrangers des vins français, une attache qualitative qui découle d’une tradition puissante ancrée qui ne saurait être concurrencée. Il existe naturellement de très grands terroirs dans le monde. Il ne peut exister de château que là où il a été érigé.
Ce Signe de Pierre ne peut se comprendre sans son corollaire, le Signe de Papier, qui est la marque de l’identification. Tous deux marchent ensemble, sous la caution du Signe du Temps au cœur du Cycle classique des vins de Tradition. Pierre + Papier + Temps sont des marqueurs profondément inscrits dans notre histoire et notre façon française de concevoir la culture du vin.
Dialogue imaginaire entre Isi, le double impertinent de l’auteur, et Eli, l’auteur
Isi : je crois que je vais rêver des châteaux, moi, ce soir. Les admirer ne va plus me suffire ; il faut maintenant que je sache si et pourquoi le vigneron est un châtelain. Après ça, je vais plutôt avoir tendance à voir des vignerons dans tous les châtelains que je croise évidemment tous les jours. Je me vois arriver au château en disant : alors où est la vigne ? Et votre vin, c’est un quoi ?
Eli : euh, peut être pas tout à fait, mais ce n’est pas faux. Le vigneron n’est pas mobile par définition. Il est là où est sa vigne. Avoir un château, c’est montrer visuellement l’ancrage dans la terre et rendre hommage à la vigne et au vin et aussi à ceux qui l’apprécient.
Isi : bien, me rendre hommage à moi, c’est beau. Je sens que je vais piocher ma géographie touristique d’un point de vue plus vinicole. C’est bien envoyé, non ?
Eli : tu veux dire que c’est parfait.
. Le prochain billet sera consacré au début du Signe du Temps qui forme le chapitre 4 des
Habits du Vin, “The Word through the Bottle of Wine”.
. Toutes les étiquettes du Signe de la Pierre sont visibles dans l'album photo sous le
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