P.59 WBW > Les Habits des Vins d'Expression > Les liens entre bouteille et vin
La négation de la bouteille
Il est très révélateur de notre culture du vin qu’elle soit si adoratrice du vin qu’elle en exclut le gardien et
protecteur du vin, la bouteille. Consultez les guides, regardez les sites, lisez les blogs, rien n’est dit sur la bouteille ou son habillage. Comme s’il était malséant d’en parler. A croire que
la transparence du verre est telle qu’elle en occulte complètement l’existence de la bouteille
,
l’influence de sa forme et le langage de la bouteille. Une façon étonnante d’inverser la symbolique du conte des habits neufs de l’empereur : il est nu et seul un enfant le voit, le sait et le
dit haut et clair. Dans le cas du vin, c’est l’inverse, le vin est là seul, figé en une forme de bouteille. Il est un rêve d’alchimiste : créer un liquide qui se tient debout et que seuls des
initiés peuvent approcher et boire. Les autres, tous les autres, voient, savent et disent que c’est une bouteille et que pour acheter et boire le vin, il faut la bouteille.
Bouteille et vêtement ont pour commun d’être des transmetteurs de l’identité d’une personne et ou d’un produit. Ce trait est particulièrement important lors de l’achat du vin en dehors du chai et hors la présence ou la connaissance du vigneron, géniteur du vin ou d’un caviste, garant de l’identité du vin. On sait qu’un des loisirs favoris des Français est d’acheter leur vin directement au chai, après la dégustation. Dans ce cas là, le médiateur entre le vin et le client est le vigneron ou un représentant du domaine. Ce n’est plus la bouteille. L’attitude des clients sera influencée par l’opinion du vigneron sur l’habillage de ses bouteilles. Mais en aucun cas, un habillage avec du sens, du style et le petit plus, ne saurait être un frein à la vente.
Vilaine bouteille et bon vin ?
Les grands noms du vin à notoriété établie ou en formation vendent leurs vins sans qu’il soit même question de
l’habillage de la bouteille. Mais hors ces exceptions, la concurrence oblige à examiner différemment la problématique au niveau de la distribution et à revoir ses étiquettes dans un sens
favorable au distributeur. C’est lui qui vend le vin avec une
distinction : si vous êtes connu, vous avez plus de chance d’imposer votre style. Très ouvert sur le design, les pays anglo-saxons et le Japon oscillent entre une attitude très « Nouveau
Monde » critiquant le style vieillot français et un attachement, qui nous parait à nous suranné, pour nos habillages d’une autre époque. Les exemples ne manquent pas de vignerons traumatisés
par les critiques portant sur leurs étiquettes en France et qui renoncent à les changer pour l’export à la demande de leurs importateurs : « surtout ne changez rien, vous risquez de
porter atteinte à votre identité et à celle du vin français ! » L’objectif d’un habillage réussi est toujours de mettre en lumière la cohérence parfois cachée, parfois évidente entre un vin,
son géniteur et son distributeur.
Qu’est-ce qu’un vilain habillage : la réponse est aussi vague que pour le bon habillage : c’est celui qui ne convient pas, comme le bon habillage est celui qui convient. Les paramètres sont si nombreux qu’il est vain de vouloir les définir. Certaines agences de communication les ont comptés pour en faire un argument de vente de leurs prestations. Ils se chiffrent par centaines : avec trois critères seulement, pour par exemple 7 formes par 7 typographies par 7 couleurs, le résultat s’élève à 343 possibilités, autant dire l’infini puisqu’il y a beaucoup plus que 3 critères et éléments. Ce sera certainement une des voies de développement des étiquettes, sans que ce soit évidemment LA formule exclusive. Il sera toujours possible de dire ce que l’on veut transmettre. L’essentiel est qu’il existe une cohérence entre le sens, le style d’expression et le « je ne sais quoi qui fait la différence ».
Belle bouteille = bon vin ?
Jusqu’à il y a quelques années, la réponse en France était NON. Pour ‘preuve’ cet adage
toujours cité : « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! » Ce principe, jamais remis en question, était affirmé comme un dogme culturel fondé sur la
connaissance des Français de leurs vins. Vins de connaisseurs pour des connaisseurs, il n’était nul besoin de changer le statu quo. Les vins de France étant bons par définition, la question du
beau ne se posait pas, avec toujours cette idée qui imprègne nos esprits depuis la vieille histoire d’Adam et d’Eve qu’il faut se méfier de la séduction d’une belle pomme aux belles couleurs,
même si c’était en réalité une figue.
Tout ceci revient à dire que la séduction visuelle peut tromper le jugement alors que le goût serait beaucoup plus fiable. En réalité, les deux peuvent tout autant induire en erreur : la vue et
le goût sont directement influencés par ce que l’on sait et ce que l’on voit d’un vin. Il est très difficile même à des connaisseurs de distinguer la couleur du vin dès lors que leurs yeux sont
bandés ou que le verre est noir. Quant à l’habillage, son rôle est à la fois plus et moins important :
. plus dans le sens qu’il ne doit pas porter tort au vin, en le dénaturant, en l’affaiblissant ou en le parant des plumes du paon ;
. moins, car un bon habillage n’est ni forcément beau ni forcément séduisant. Il est celui qui va avec. C’est tout et c’est beaucoup puisqu’il s’agit alors de définir la cohérence qui lie une personne, une matière vivante, le vin, et un habillage qui parle pour les deux, sachant qu’il faut prévoir dès le départ plusieurs habillages en fonction des différents distributeurs. C’est là, où cela devient difficile.
Imagine-t-on un instant quelqu’un qui voudrait vous convaincre que son produit est bon et qui volontairement déguiserait son produit de façon à nuire à la perception que l’on peut en avoir. Absurde, n’est-ce pas, à moins de jouer le triple degré et plus. Et bien c’est pourtant ce qui se passe tous les jours avec le vin. Alors toujours qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? Certainement pas, il suffit pour s’en convaincre de faire l’expérience de demander à des étrangers de traduire cette phrase dans leur langue. Ce qui ressort de l’imaginaire français s’arrête au flacon en première partie de la phrase, alors que la plupart des étrangers voient surtout la seconde partie qui parle d’ivresse.
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L’habillage pose la grande question du pouvoir de communication par la bouteille. Elle est d’autant plus pertinente qu’en fait peu de professionnels du vin se la posent dans ce sens. En France, on parle pour l’étiquette de complexité, de manque de clarté, d’oppression réglementaire, de concurrence déloyale des pays étrangers, comme si ceux-ci n’étaient pas soumis également à des contraintes réglementaires, partout dans le monde. Il est étonnant de constater aussi que les mêmes professionnels du vin, qui dénoncent pour eux l’impossibilité de mettre en valeur leur vin en raison des nombreuses contraintes qui existent, se plient sans aucun souci aux exigences de leurs différents importateurs-distributeurs à l’étranger.
A la question ‘vilaine bouteille = bon vin ?’, la réponse est forcément non. En aucun cas, il suffit de présenter une bouteille disgracieuse ou incohérente pour être assurée de la qualité du vin. Une bouteille à l’ancienne non plus. Ce serait vraiment du double ou triple degré.
A la question ‘belle bouteille = bon vin ?’, la réponse est également non, pour les raisons déjà citées et pour d’autres en plus. Quand on parle de belle bouteille, on vise la volonté de séduire, si non on parlerait de bonne bouteille. Avec une belle bouteille, on se demande toujours en quoi l’habillage du contenant justifie le contenu , parce que le contenant le mérite ou justement parce qu’il ne le mérite pas. La réaction de l’acheteur dépend alors de son attente et de sa sensibilité à la question. L’achat de la bouteille peut viser uniquement la bouteille, sans aller jusqu’au vin.
Puisqu’il s’agit de mieux vendre, il me semble que donner du sens, du style le « je ne sais quoi qui fait la
différence » est autrement plus convaincant que de viser une certaine séduction standardisée d’habillages qui n’expriment plus rien et certainement pas le lien avec le vin et son
créateur.
. Ce billet n° 59 est le dernier de la série. A titre de post-face, il marque la fin de ma recherche consacrée à l’habillage de la bouteille de vin. Un billet n°60 retracera le plan suivi et la méthodologie utilisée.
. Toutes les étiquettes sont visibles dans l’album photo sur ce site.
. Dessins et maquette du plan circulaire des 9 SIGNES par lesquels la bouteille communique de France Poulain