Les petites maisons > Hundertwasser > La Picaudière
Il faut vraiment les mettre au pluriel, sinon ce ne serait pas exact. Hundertwasser a conçu beaucoup de projets très visionnaires d’habitat. Mais toujours avec cette idée très forte qu’on ne peut être vraiment soi-même que dans un petit espace adapté à la taille, à la main et au pas de l’homme. On est à soi-même sa maison, une idée abondamment développée maintenant par les psychologues et autres ‘savantologues’. Lui était un instinctif à ce point créatif qu’il balayait toutes les écoles, tous les clans et appartenances. Il était lui et cherchait en lui ses réponses de vie.
Sans être architecte, il a conçu des immeubles composés de maisons superposées afin que chacun puisse être soi chez soi. Une idée à ce point révolutionnaire qu’on est en train de la reprendre aujourd’hui, au nom de la densification. Permettre à chacun d’habiter une petite maison dans une superposition de maisons à taille humaine a déjà commencé à être mis en application, à Bordeaux par exemple en rive droite, face aux quais des Chartrons.
Les ‘maisons’ de Hundertwasser
La petite maison est une évidence qu’il s’applique à lui-même. En France, près d’Alençon, il a ainsi racheté La Picaudière, une vieille ferme dénuée du moindre confort : ni ses principes ni ses besoins n’auraient pu l’inciter à être ‘mieux’ logé, même selon les normes de l’époque. Sa vie plus que ‘rustique’ était incompréhensible pour ses voisins paysans. Par contre, il lui a paru essentiel de planter des milliers d’arbres, pour re-créer un état de nature indispensable à la vie. On dit maintenant de lui qu’il a été en France, un des premiers écologistes, un mot alors inconnu.
En Nouvelle-Zélande où il vécut plusieurs années, il choisit d’aménager une porcherie, reconverti en un espace multi-fonctionnel. A Venise, c’est la maison du jardinier qui l’abrite lors de son séjour. A chaque fois, se produit une alliance entre l’abri qui l’accueille et le créatif qu’il est : l’homme entre ces deux enveloppes peut alors s’épanouir. Hundertwasser avait l’habitude de dire que la maison était sa troisième enveloppe, venant juste après le vêtement, auquel il n’attachait que très peu d’importance, et bien sûr son corps.
Cette peinture
Dans cette huile de la Picaudière, baptisée « Tout oreille » qui date de 1997, trois ans avant sa mort (1928-2000), les maisons sont si nombreuses qu’il faut les compter. Bien sûr, au départ, il y a apparemment un immeuble à gauche et une maison au centre en haut. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées.
L’immeuble
C’est une tour, composée de blocs maisons avec chacun une fenêtre ronde ou rectangulaire. Le haut de la tour est un visage en bois à chevron inversé aux allures d’un parquet avec un immeuble jaune en guise de chapeau.
Le visage-toit-bois
C’est la partie la plus secrète du tableau, la plus compliquée aussi. Ce visage humain a deux yeux et demi et pas d’oreille. Par contre cette partie du visage donne naissance à une maison rose foncée, qui est très structurée, apparemment bien sûr. Parce qu’il n’y a pas de porte, comme dans un rêve, où l’esprit peut rentrer n’importe où.
La maison
Elle est formée par un assemblage de blocs d’habitat avec une bouteille jaune en guise d’ouverture. Les deux seules fenêtres sont bloquées l’une sur l’autre à droite. Son toit rayé rose et ocre, surprend, non pas à cause de la couleur, mais parce que Hundertwasser n’aime pas les toits. Aucun des immeubles qu’il a imaginés et réalisés n’a de toit.
Le jardin labyrinthe
Devant cette maison-bloc-à fenêtre-bouteille, le labyrinthe occupe une place très importante de la toile. C’est même l’élément que l’on découvre en premier. En son cœur, se situe une place carrée qui s’ouvre sur quatre chemins pavés, qui conduisent à gauche vers la tour citée en Ier, en haut vers la maison rose, à droite vers je ne sais où et en bas aussi. Vous avez compris qu'il ne s'agit ni d'un jardin, ni vraiment d'un labyrinthe. C'est beaucoup plus fort.
« Tout oreille »
C’est donc là l’explication, l’homme au cœur de la maison, entre bloc d’habitat et toit, a une oreille non visualisée si ce n’est sous forme d’un demi-oeil; de cette oreille surgit une nouvelle maison qui elle-même donne naissance à un labyrinthe qui lui-même renvoie à la tour qui a un homme pour un chapeau figuré par un immeuble jaune et dont le 3è œil renvoie vers la maison au toit rayé…
Non pas ‘tout’
Si l’histoire se terminait ainsi, le monde serait fini, avec un homme enfermé dans une maison qui sécrète une autre maison qui renvoie à la première…ce serait complètement contraire à ce que croyait Hundertwasser. Pour lui, l'homme était au coeur de l'Univers, pas pour le commander mais pour être en phase, avec les arbres par exemple qui étaient pour lui, une source de vie tout à fait première, directe.
Le fleuve-vie
Comme on l’a vu, il manque au tableau la partie droite et la partie basse du labyrinthe. Mais ce n’est pas grave. On n'en a pas besoin pour comprendre. Par contre, je n’ai pas encore parlé du haut du tableau. Sur la moitié de la toile, l'oeil repère un fleuve de lanières blanches et noires, qui passe derrière les épaules et la tête de l’homme-toit au chapeau jaune qui du coup forme un pont. Ce fleuve se poursuit derrière la maison rose et continue sa route, après avoir donné au labyrinthe une de ses lanières noires qui fait de la maison rose et du labyrinthe une île.
. La Picaudière se situe au sud de Saint-Jean de la Forêt, près de Bellême dans le Perche.
. Cette toile a été choisie comme affiche pour l’exposition organisée à Alençon, 2 juin au 30 septembre 2001, au Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle, par l’Institut culturel autrichien
. Lire le billet « Hunderwasser à la Picaudière de l’Association Guillaume Budé d’Orléans :
http://www.bude-orleans.org/Geolitteraire/Regions/61-Saint-Jean-Hundertwasser.html