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Le Blog d'Elisabeth Poulain

La Frontière et l'Ile > La Belgique selon K. Pomian et Fabrice Montignier

29 Novembre 2012, 12:06pm

Publié par Elisabeth Poulain

Chacun sait qu’une bonne image vaut bien un long discours, un bon dessin dire plus qu’un texte pourtant très clair et bien argumenté. L’un ne remplace pas l’autre ; ils se complètent, s’interpellent, se  contredisent  ou partent chacun de son côté. L’important est qu’ils se côtoient dans un même espace restreint comme l’est celui d’une page du Monde (47cmx 32) où le dessin (19 x 17) est entouré par le texte, au centre de la page, comme une île dans son univers d’eau. Ici, ce sont des mots et un dessin.

  Le Monde, Article

Le titre de l’article « En Belgique, c’est l’Europe qui se joue » situe la problématique. Il s’agit de l’hypothèse de la partition du pays entre Flamands et Wallons analysée par Kzrysztof Pomian, philosophe et historien.  Neuf questions lui sont posées par le journaliste du Monde : 1 les conséquences pour l’UE de la crise belge, 2 Le  lien entre cette crise et la double nature romane et germanique du pays, 3 l’identité belge, 4 le fédéralisme belge, 5 la montée du régionalisme flamand en lien avec la montée en puissance de l’UE,  6 les dérives égoïstes, 7 la gouvernance de l’UE, 8 le rôle de Bruxelles, 9 l’hypothèse du rattachement de la Wallonie à la France. Quelques éléments de réponse sont donnés à la fin du texte, avant les notes.

Fabrice Montignier crée un dessin pour donner un autre éclairage aux propos très affinés du chercheur. Son idée est de représenter la Belgique sur un fond d’assiette   décorée en son centre avec une carte simplifiée. L’assiette est posée sur un chevalet qui trône lui-même sur un superbe napperon. La composition est encadrée par un pichet à gauche et un compotier rempli de spéculos – ce sont des biscuits belges - à droite. Le mur du fond est recouvert d’un papier peint avec des petites fleurs dans des ronds festonnés comme on en faisait en 1950. Tout est sombre de façon à faire ressortir la blancheur de l’assiette.

Frontiére-Belgique-fabrice-montignier 

Sa carte de la Belgique. On dirait une île flottante au fond de l’assiette. Le tracé des contours extérieurs est entouré de rouge foncé dont l’intensité s’atténue à mesure que l’œil s’éloigne. Rien n’est Indiqué, si ce n’est « België » - Belgique en flamand - sur le pourtour extérieur de l’assiette. Il n’y a plus de France, ni de Luxembourg, ni l’Allemagne. La mer a elle aussi disparu, comme s’il n’y avait plus de fenêtre sur la mer, le symbole de l’ouverture.

L’assiette est brisée en son milieu, comme le serait une vraie assiette recollée parce qu’on y tient. On sait bien qu’elle est cassée, mais comme on y tient quand même, on la recolle du mieux qu’on peut, en commandant à ses yeux de ne pas se focaliser sur la fracture. Celle-ci a un nom dans la réalité, c’est la frontière entre la Flandre et la Wallonie, en oubliant comme le plus souvent la troisième composante de l’Etat fédéral belge, les neuf communes germanophones à compétences réduites situées à l’est du pays.

La frontière indique clairement la brisureentre le nord et le sud dans un pays entouré de puissants voisins et qui n’a pas réussi lors de son indépendance à garder un accès franc à la mer pour son grand port, celui d’Anvers. La frontière   néerlandaise coupe en effet le fleuve à la sortie du port belge, de sorte  les navires venant de la mer du Nord ou sortant du port doivent naviguer dans les eaux du Pays-Bas. Au début du XVIIe siècle, le Comté de Flandres possédait encore la rive sud, comme on peut le voir sur la carte de 1608.  

Carte-Flandre-1609-Image-remarquable-2008-Wikipedia 

La devise nationale du royaume de Belgiqueest « l’Union fait la force » qui se traduit en flamand par « Eendracht maakt macht » et par  « Einigkeit macht stark » en allemand. Les deux substantifs –Union et Force - indiquent bien la volonté des gouvernants de cimenter les liens entre les différentes communautés  justement parce qu’ils en connaissent la fragilité depuis 1830, l’année de l’indépendance du pays. On comprend bien l’importance de cette devise. On parle toujours de ce qui nous manque.    

Ce dessin préfigure ce que serait une Belgique présentée comme une île coupée en deux par une frontière qui risquerait de résulter de l’antagonisme entre les Flamands et les Wallons, chacune des deux parties entourées d’une frontière sans contact avec leurs voisins européens, avec l’obligation de devoir franchir une autre frontière quasi-maritime pour accéder à la haute mer. Pour l’heure, il n’y a pas encore de bordure rouge sur cette ligne de fracture…Maintenant regardez bien le napperon du graphiste: tous ses îlots de fil sont reliés entre eux par des liens qui forment la trame de solidité de l'ensemble. Qui aurait cru qu'une dentelle puisse jouer un rôle politique aussi fort!   

Belgique-Carte-frontières-régions-INED 

Pour suivre le chemin

. Quelques éléments de réponse indiqués par Krzystoszf Pomian au journaliste du Monde.

.  1 Les conséquences pour l’UE de la crise belge. La Belgique offre beaucoup de similitude avec l’UE ; elle en est une représentation à elle seule, Trois champs de comparaison. *Point n° 1 : c’est « une Europe en miniature » qui existe depuis le XIVe siècle, avec «ses frontières dessinées depuis le XVIIè siècle », qui a attiré tout le monde, sous forme  des Pays-Bas espagnols, puis des Pays-Bas autrichiens. *Point n° 2 : son multilinguisme offre également beaucoup de points de comparaison avec ce qui se passe actuellement dans l’UE. N’utiliser que l’anglais comme langue mondiale crée beaucoup de désordre, comme ce qu’avait fait en son temps l’élite francophone en Belgique en imposant le français comme langue mondiale.*Troisième point : la centralité de la Belgique depuis le Moyen-Age. En 1830, il a lui a fallu pas moins de trois géniteurs   (l’expression est de moi) – la France, l’Allemagne et le l’Angleterre-. C’est à Bruxelles qu’est située la capitale de l’Europe. Ce ne peut être un hasard.  

. 2 Le  lien entre cette crise et la double nature romane et germanique du pays. « La Belgique a rayonné sur l’Europe…La Belgique est un lieu de rencontre ». Au XVIIe, citons Rubens, au XIX James Ensor, René Magritte, Marcel Broodthaers, les architectes Van de Velde et Horta. C’est un lieu d’enseignement multiculturel…

. 3 L’identité belge. Pour le chercheur, elle existe vraiment. Il est arrivé dans le pays à 14 ans. C’est là qu’il s’est ouvert au monde. Ceci dit, « cette identité n’est pas facile à définir ». Elle est essentiellement basée sur « la culture du compromis ». Il n’est pas pensable pour l’historien que les Belges ne cherchent plus  à poursuivre ensemble une route qui leur a permis de partager la même histoire, quel que soit l’habit, « duché de Bourgogne, domination espagnole, révolution brabançonne contre les Français, Révolution française… ».      

. 4 Le fédéralisme belge. Il a permis de résoudre certains problèmes de coexistence pendant un certain temps. Le confédéralisme suisse montre aussi ses limites : aucun ne veut parler la langue de l’autre. On retrouve « l’urgence de la question linguistique » sur laquelle l’UE doit se pencher.   

. 5 La montée du régionalisme flamand en lien avec la montée en puissance de l’UE. Cet aspect pose la question du centralisme excessif depuis le milieu du XIXe siècle. Des états ont commencé  à procéder à des réformes de rééquilibrage entre l’Etat et les régions puis  l’UE s’en est mêlée, sans avoir de position claire sur ce point.   

 . 6 Les dérives égoïstes. La situation est tendue pour le moins. Croire qu’une Europe à 50 sera plus efficace qu’à 27 est un leurre. On ne peut vouloir le beurre et l’argent du beurre (une formule EP). « Il est grand temps de briser le silence officiel (de l’UE et je pense des Etats-Membres) qui encourage les mouvements actuels ». Et l’auteur de citer le partage de la Tchécoslovaquie, la dissolution de l’ex-Yougloslavie, les Italiens du Nord contre « les nègres du Sud ». « Le virus nationaliste reste tapi dans l’ombre ».   

. 7 La gouvernance de l’UE. Elle est illisible au même titre d’ailleurs que la structure constitutionnelle de la Belgique. Il faut agir dans le sens de la simplification aussi bien pour l’UE que pour la Belgique.  

. 8 Le rôle de Bruxelles. La ville est « une pomme de discorde » entre les deux communautés. Francophone, elle est située en terre flamande. L’auteur souhaite que le Parlement et la Commission puissent émettre des avis pour dire « des vérités européennes ».

. 9 L’hypothèse du rattachement de la Wallonie à la France. Il ne croit ni à « la force du  rattachisme ni à l’enthousiasme de l’opinion française face à ce scénario ». C’est la fin de l’interview.

. Voir le Monde du 20.01.2008, Décryptages, Grand Entretien,  propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants. Kzrysztof Pomian est le directeur scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles. Lire la bonne étude de l’INED sur les relations tumultueuses des deux communautés « Les Flamands et Les Wallons, Deux histoires, deux démographies »    http://www.ined.fr/fr/tout_savoir_population/fiches_actualite/flamands_wallons/

. Pour K. Pomian, se référer à  http://fr.wikipedia.org/wiki/Krzysztof_Pomian pour avoir quelques repères dans le cheminement du philosophe, historien et essayiste  franco-polonais.  

. Retrouver Fabrice Montignier sur son site http://www.fabricemontignier.com/ et sur http://86andco.blogspot.fr/2010/05/fabrice-montignier-pur-produit-de-leesi.html Il est diplômé des Beaux-Arts de Poitier et a 28 ans.

Belgique-Crochet au fuseau du Brabant

Il a aussi une bonne connaissance de la socio-culture belge où le napperon brodée tient une grande place dans les intérieurs. C’est un signe qui montre le soin que la maitresse de maison accorde à son intérieur. Il y a encore quelques décades, les jeunes filles apprenaient à réaliser de la dentelle au fuseau très renommée en Belgique. Sur les 550 photos du « Nouvel Atlas Mondial » des Editions Stauffacher SA (Zurich) avec 500 cartes, 1958,  il n’existe qu’une seule photo d’intérieur ; elle montre quatre napperons de dentelle au fuseau de Brabant (Belgique). Les deux autres photos consacrées à la Belgique montrent le port d’Anvers et le Château des Comtes à Gand.  

  Broderie-Table-Crochet Julia-Figuueiredo-1970-Wikipedia-200

Quant au mur du fond sur le dessin, il s’inspire me semble-t-il directement d’une broderie au crochet dont la photo présentée sur Wikipedia a obtenu le label de photo remarquable.

. La photo de l'assiette "België" est à retrouver sur le site du dessinateur, les autres photos Elisabeth Poulain pour la page du Monde du 22.01.2008 et la dentelle n°1 de Belgique, Wikipedia pour la carte ancienne et la broderie n° 2 et l’INED pour la carte linguistique, avec mes remerciements à tous, à voir dans l'album "Symboles2" sur ce blog.   

. Juste une dernière précision, ce billet remplace celui que j'ai publié hier sur ce site et qui était une "version light" de celui-ci et que j'ai complété avec les éléments de réponse du chercheur.

 

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