De la complexité territoriale et citoyenne, selon Martin Vannier
Ce n’est pas le titre retenu par Martin Vannier à l’INSET-Angers lors de son intervention récente devant les membres du Conseil de Développement présents en nombre pour entendre le géographe venu nous parler de la complexité du lien entre le territoire et le citoyen. Mais c’est un titre qui attire bien l’attention sur la difficulté de cerner les interactions qui unissent le citoyen, le territoire et le temps dont une des formes d’expression est la complexité au cœur de la présentation.
C’est Pierre-Marie Rivière, le président du Conseil de Développement d’Angers Loire Métropole qui a d’emblée placé la problématique sur le temps et le mouvement perpétuel qui affecte le territoire et le rôle que les habitants peuvent y exercer, en partageant le travail de développement. Il s’agit d’analyser le pouvoir conféré au territoire à partir du vécu des habitants et non pas à partir des frontières.
Martin Vannier précise qu’il va parler de « la participation des citoyens aux décisions publiques dans le cadre du territoire ». Il y a donc trois composantes, le citoyen, la décision publique et le territoire. Sa réflexion s’articule en 3 points, 4 synthèses et 5 propositions.
Le Ier point est une mise en garde relative à la portance du territoire. Il ne s’agit pas d’attribuer au territoire des dimensions qui ne sont pas les siennes. Parler par exemple d’un ministère de l’égalité des territoires est un leurre (un terme qui n’a pas été utilisé). « Il ne peut y avoir d’égalité des territoires comme il n’y en a pas entre les hommes et les femmes. Il n’y a de territoire que dans la différence. »
Martin Vannier aborde ensuite la question du lien entre la citoyenneté et la décision publique. Le millefeuille territorial rend la compréhension du territoire difficile. « Le citoyen n’y comprend plus rien. » A son avis, le territoire n’est pas la bonne façon d’ aborder la question de la citoyenneté ; « le territoire ne peut pas porter cette question…La complexité en France s’est beaucoup accrue depuis 20 ans. C’est une bonne chose. Le XIXe siècle a vu l’émergence du fait social à partir de la Commune. Le rôle du citoyen a suivi cette évolution. Il faut noter d’ailleurs que les pays ayant accordé le droite de vote aux étrangers sont majoritaires. » On peut ainsi tracer une ligne entre la complexité, la citoyenneté, la question publique et « le territoire qui n’est ni la source ni la conclusion. »
Point n° 2. Il s’agit d’analyser la citoyenneté en lien avec le fait public. L’auteur constate « une usure, un épuisement du pacte citoyen, l’épuisement étant d’ailleurs plus englobant que l’usure propre du territoire. » Pour comprendre, il faut partir du citoyen en se posant la question : qui est-il ? Celui qui a le droit de vote. Puis apparait une notion associée qui porte sur la pratique délibérative : est citoyen celui qui délègue, suit la délibération, accepte la décision et s’y soumet. Arrive une troisième époque après la guerre, celle d’une citoyenneté consultative en lien avec un haut niveau de formation où il est fait appel à des experts, aux entreprises, aux syndicats, ce qui provoque une certaine forme de renoncement. Dans la 3e étape, on note « l’engagement actif d’un citoyen qui participe : il fait plus que voter à la différence d’un ‘demi-citoyen’ qui ne fait que voter ». Le pacte territorial s’enrichit avec l’engagement du citoyen. Est citoyen, celui qui a une place (entière, un terme non employé) pour participer.
Point n°3 L’étape actuelle voit l’émergence des conseils de quartier, des conseils de développement dans le territoire. La question qui se pose est de savoir si ces instances nouvelles sont représentatives. La réponse pour le géographe est « non ». Cette démocratie-là a de la peine à fonctionner en raison des relations difficiles entre les conseils de développement et les conseils élus. (Martin Vannier ne parle pas des conseils de quartier.) Ce qu’il note, c’est une certaine forme d’épuisement. On en arrive alors à une nouvelle notion, « celle de la démocratie contributive dans laquelle le citoyen donne son avis dans le cadre d’une contribution qui est une forme originale de décision publique. C’est un trouble fondamental. La société a de la peine à s’y retrouver dans cette multitude de petits canaux de plus en plus parallèles. Des questions se posent : le territoire s’y retrouve-t-il, a-t-il quelque chose à faire, est-il un cadre adapté… ? La démocratie votive n’est-elle pas une notion en voie d’épuisement ? La citoyenneté a été fondée sur un cadre territorial de la même façon que la chose publique est portée par le territoire » et vice et versa.
En parallèle « l’émergence des réseaux sociaux bouleverse tout. Nous sommes entrés dans une société de mobilité, une société immatérielle ; ce monde-là n’est pas le territoire. Il n’est pas organisé par les collectivités. Pour faire tenir ensemble l’ensemble, Google et Orange sont plus importants que nos collectivités ». Un autre élément marquant est que l’offre de service s’est dé-publicisée (=sortis des services publics) et déterritorialisée. Un bon exemple est la privatisation des autoroutes. Un réseau est sorti du service public, avec une dimension a-politique, a-publicisée et a-territorialisée. Sur un réseau, nous ne sommes pas citoyens. »
Les synthèses. C’est le terme choisi par Martin Vannier pour montrer la convergence de quatre phénomènes cumulatifs en même temps, à savoir (1) l’affaiblissement du lien territorial d’origine de (2) par l’attachement du citoyen à plusieurs territoires, (3) la décentralisation cumulée avec le surinvestissement des politiques sur le fait territorial et la volonté de puissance (un terme non utilisé) des métropoles et (4) la perte de sens de l’acte de voter alors que la participation à un réseau donne plus de sentiment d’appartenance et d’action (des mots non dits).
Il y a un épuisement du pacte territorialqui fait-faisait que nous sommes-étions attachés à une commune, un département, une région. On sait, on savait d’où on est- était ; c’était un lieu unique, un lieu hégémonique. Maintenant ce référentiel (de rattachement) est pluriel. Nous sommes devenus des êtres inter-territoriaux. Notre géographie personnelle s’est compliquée. En parallèle, outre la décentralisation, on note un surinvestissement de la politique publique dans le territoire et l’appartenance du citoyen à plusieurs territoires. En France, (on continue à penser qu’) il ne peut y avoir de destin national sans destin local. Dans le même temps, les politiques veulent faire grossir leur métropole le plus possible, les citoyens bougent de plus en plus et les trains sont pleins (avec beaucoup de grèves). Alors que le territoire ne cesse de se compliquer, nous avons dans le même temps compliqué notre géographie personnelle.
Dans le même temps, la société multiplie ses horizons territoriaux et le citoyen est usager de plusieurs territoires. Le pacte territorial commence à flancher et voter apparaît comme un acte peu significatif (un mot non utilisé par l’auteur), auquel un nombre croissant de personnes ne croît plus. Le désintérêt que le citoyen porte à l’architecture territorial est normal. Les mécanismes du siècle dernier ne l’intéressent plus. Ce qui l’intéresse, c’est quand deux souverainetés sont face à face et produisent des étincelles créatives… Le citoyen devient un acteur-contributeur de terrain. La chose publique n’est pas seulement l’affaire des politiques…Ceci est une révolte contre l’idée que le citoyen ne comprend rien. »
Les cinq propositions de Martin Vannier.
. Construire l’inter-territorialité comme une chose publique. Pour un Conseil de Développement, il s’agirait de sortir de son périmètre, en bousculant les politiques dans leur fief, dans leur territoire de compétence, dans sa capacité de négociation avec les autres…
. Le citoyen forge sa propre ingénierie de la connaissance pour comprendre le territoire, ses différents niveaux ; on ne peut rester seul pour comprendre et intérioriser tout ça. Nous sommes une société de la connaissance, notre activité est aussi celle de la connaissance.
. Il s’agit de passer du mimétisme délibératif très développé dans les Conseils économiques des régions à l’initiative contributive fondée sur la matière grise et qui génère de la matière grise.
. Le citoyen s’investit dans les réseaux où justement il n’est pas connu. A cet effet, il s’interroge sur ses droits dont il est dépossédé, par exemple dans le réseau du TGV. On apprend à être un citoyen actif de la SNCF et contribuer ainsi à trouver des solutions. C’est la même chose pour les télécoms.
. On s’émancipe de l’avenir prescrit. La meilleure façon de faire bouger les choses est de faire de la prospective qui libère du présent de nos habitudes et nos codes. Il faut vraiment investir dans cette pratique qui permet d’aérer ses représentations du service public. Cela se fait dans d’autres pays.
= Ce sont cinq propositions qui permettent de rendre l’individu plus à l’aise dans la chose publique.
Pour suivre le chemin
. Martin Vannier a été invité par le Conseil de Développement d’Angers-Loire- Métropole pour intervenir devant les membres sur le thème du " pouvoir des territoires ». Le texte que vou pouvez lire sur mon blog est issu des notes que j'ai prises. Sa conférence, qui s’est déroulée à l’INSET d’Angers, est à retrouver sur le site du Conseil http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=conseil%20de%20d%C3%A9veloppement%20d'angers%20martin%20vannier&source=web&cd=5&cad=rja&sqi=2&ved=0CEcQFjAE&url=http%3A%2F%2Fconseil-dev-loire.angers.fr%2Fuploads%2Fmedia%2Flettre_d_infos_n49_01.pdf&ei=Kc_EUO7UGKqd0AXD6YDQAg&usg=AFQjCNHMIComiEGiWe2Zda1oL033R3lTcQ
. Quant à l’INSET voir son site et sur mon blog, lire http://www.elisabethpoulain.com/article-l-inset-d-angers-presente-par-patrick-debut-son-directeur-111984437.html
. Photos Elisabeth Poulain