Avrilly 27, La motte féodale, un château du Moyen-Age de pierre & de terre
Décryptage du titre. Avrilly d’abord. C’est un paisible village de Normandie, comptant 450 habitants situé au sud d’Evreux dans le département de l’Eure. A part son caractère verdoyant et luxuriant propre à la terre généreuse de la Normandie, la situation d’Avrilly n’offre à priori rien de perceptible à l'oeil. Et pourtant ce village mérite le détour comme le disent certains guides touristiques. Il est en effet doté d’un trésor patrimonial historique à forte personnalité.
Il s’agit d’une motte féodale, un château du Moyen-Age, fait de pierre et de terre, qui n’a jamais été ni reconstruit, ni retouché depuis sa destruction partielle vers 1390 quand les troupes anglaises détruisirent tout, la motte et le village. Commencer par donner sa date approximative de fin d’usage peut certainement surprendre. Cela l’est moins quand on sait qu’on ignore sa date exacte d’édification et une grande partie de ses conditions réelles d’activité. A notre époque, où on sait tout sur tout, avec un luxe de détails proprement inouï sur des monuments datant du premier millénaire, et à fortiori du début du suivant, une motte féodale peut receler beaucoup de mystères passionnants à découvrir.
Son nom d’abord. On parle indifféremment d’une motte féodale ou castrale, d’un château du Moyen-Age ou d’une place forte. Déjà rien que ces appellations plurielles montrent qu’on n’est pas très à l’aise pour définir ces ruines de ce qui fut un fort militaire de défense, placé dans à un endroit stratégique en arrière des frontières entre la France et la Normandie. Son objectif premier était de protéger le territoire normand.
. Une motte féodale. L’intéressant de cette dénomination porte d’abord sur ce concept de motte. De nos jours, quand on parle d’une motte de terre, on voit un petit tas de terre qu’on peut écraser avec ses pataugas, une marque bien connue de grosses chaussures de marche. A Avrilly, il s’agit d’une vraiment grosse butée de terre, d’un volume suffisant pour former une vraie colline, édifiée à un endroit qui devait déjà être un peu surélevé. De loin, on aperçoit surtout une colline boisée, ce qui est fréquent en Normandie. La motte d’Avrilly a pu, selon des historiens, être édifiée en 3 mois, avec environ 30 hommes qui ont pu manipuler 5 000 m3 de terre environ.
L’objectif militaire défensif de la motte était bien de surveiller les voies de passage et de repérer les attaques ennemies, avant que celles-ci puissent passer à l’offensive. Il en allait déjà ainsi à Rome pour les légions romaines. Chaque centurion portait avec lui sa petite pelle qui lui servait le soir à creuser un fossé autour du camp et à édifier à l’intérieur une butée avec la terre qu’il venait de prélever dans le fossé, c’est-à-dire le trou qu’il venait de faire. La protection alors devenait double et même triple, puisque des pieux dissuasifs étaient plantés en haut du talus pour freiner l’entrée dans le camp. Ces principes de base de l’art militaire protecteur étaient appliqués également le long des frontières nord et nord-ouest de l’empire romain, qu’on connait sous le nom de « Limes ».
Il est vrai que dans cette partie de la Normandie alors anglaise, vers le XIIe siècle, proche du royaume de France, l’influence romaine était plus présente qu’on ne le pense, en provenance non pas de Rome directement, mais d’Angleterre. Comme en atteste le célèbre Mur d’Hadrien, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui est un ouvrage défensif incroyablement sophistiqué de la protection d’un espace sensible entre deux royaumes.
Le Mur d’Hadrien montre bien qu’on a toujours tendance à voir le mur en élévation plus, que le fossé en creux, alors que les deux sont indissociables, dès lors qu’il est possible de creuser et de niveler la terre. D’autres éléments vont alors compléter le dispositif ; ce sont le donjon lui-même protégé par des tours, signes visibles de la force militaire protégée de l’intérieur, et le pont pour entrer dans l’espace protégé. La différence entre un mur et une motte est que le premier est linéaire, alors qu’une motte évoque et préfigure une forme ronde.
Cette motte féodale d’Avrilly fait ressortir l’adjectif de « féodale » dérivé du substantif « fief ». C’est le lien juridique très particulier qui unissait le seigneur à ses vassaux plus particulièrement du Xe au XIIe siècle. Le fief peut se définir comme étant une terre ou un bien concédé à un vassal en échange d’une fidélité absolue de ce dernier au seigneur et d’un certain nombre de services, au nombre duquel figurait la protection du territoire. C’était ce qu’on appelle le fief noble. Cela revient en droit féodal à un partage du droit de propriété de la terre très particulier puisqu’il est lié par un engagement personnel très fort du vassal envers le suzerain. Un système transmissible héréditairement qui a été très actif entre le Xe et le XIIe siècle.
. La motte castrale d’Avrilly a aussi le mérite de nous offrir une autre vision de la Normandie. On retrouve l’influence latine. Castrale vient en effet du latin « castrum » qui signifie le château. Cette fois-ci, l’accent se déplace du substantif –la motte- pour mettre en lumière l’adjectif du château dans sa dimension militaire. A Avrilly, il reste bien un donjon mais sans puisse dire que c’est un château à vivre, un terme qu’on réserve peut-être pour des constructions de plus grande ampleur, avec souvent des fonctions multiples. Par contre, il y avait bien des châtelains. Ceux-là même qui avaient fait bâtir le site. C’étaient aussi des grands propriétaires terriens, comme les comtes d’Evreux qui possédaient en particulier un grand domaine à Avrilly.
. Le château du Moyen-Age. C’est le terme le plus large qui puisse concerner les ruines d’Avrilly. Cette dénomination met l’accent sur le caractère nobiliaire de la construction. On imagine de nos jours des seigneurs appartenant à la haute noblesse venant visiter leurs terres et y résidant le temps qu’ils désiraient. C’est plutôt une vision de la Renaissance, qui a révélé en France un art de vivre inconnu jusqu’alors. Aux X-XIIe siècle, le terme de château faisait plus ressortir l’origine latine militaire encore une fois, ce mot venant directement du latin « castellum » lui-même provenant de « castrum » que nous avons déjà rencontré.
Par contre, le château n’est toujours pas « fort ». On ne pourrait le qualifier ainsi que s’il avait été vraiment entouré de remparts comme dans une forteresse. Des fossés et des talus protégés par des tours et plus haut par un donjon peuvent et c’est le cas à Avrilly former un château mais pas encore un château fort, parce qu’il n’y avait qu’un début de fortification. L’intéressant est que c’est le château qui a donné naissance au village d’Avrilly. C’est un signe de son importance.
Par contre, il y avait bien une forteresse à Château-Gaillard, un peu plus bas dans l’Eure, dominant la Seine pour arrêter l’ennemi remontant le grand fleuve. Château Gaillard, toujours cité lorsqu’on évoque l’histoire normande anglo-française possède bien des caractéristiques d’une motte castrale tout en étant lui-même protégé par deux autres mottes en amont la Tour de Cléry sur le plateau et Boutavent dans la Vallée. Le site était tellement stratégique aussi bien pour le pouvoir royal anglais, que pour son homologue français, que ce château a été qualifié de Gaillard, ce qui signifie « fort ». On retrouve le château-fort de nos livres d’histoire.
La Vallée de la Seine a été presque traditionnellement pourrait-on dire le haut lieu des modes de pénétration par la mer des Vikings à partir du VIIIe siècle, des Anglais par la suite et ce à plusieurs reprises. Par la suite à la toute fin du XIIe siècle, c’est alors le roi de France qui est revenu en force en venant de l’autre côté. Philippe Auguste a repris la main. Il s’est en effet emparé de la ville d’Evreux qu’il a proprement détruite et du village d’Avrilly, qui du coup sont devenus français. Passons rapidement sur le XIII et le XIVe siècle qui ont accordé un peu de répit à ces territoires franchement malmenés par les guerres de toutes sortes. Pendant ce temps, les constructions à usage militaire ont perdu de leur importance. Peut-être pas aux yeux des armées anglaises, qui décidèrent de détruire à leur tour tant le château que le village. On ne sait jamais ! C’était à la fin du XIVè siècle .
Aujourd'hui que voyez-vous devant vos yeux ? On repère vite le petit pont qui a dû être refait à l’identique. C’est le plus facile à distinguer avec la porte d’entrée. On voit aussi dès l’entrée le grand fossé qui fait le tour de la colline. On arrive alors dans la Basse-Cour, à prendre dans son sens premier, la cour qui est en bas. En bas de quoi ? Du donjon qui est l’endroit stratégique où se trouve le poste de commandement, alors que la Basse-Cour va accueillir les fonctions de vie. Entre les deux espaces bien hiérarchisés, se situe à nouveau un autre fossé, plus petit, repérable surtout sur le côté droit quand on regarde le donjon du bas. C’est là que l’on voit clairement une des deux tours bien conservée. De l'autre côté, un sentier étroit permet d’accéder à la plate-forme du donjon. De là-haut, on domine la site. C’est l’endroit qui intéresse le plus les visiteurs. En redescendant vers la Basse-Cour, on distingue bien le mur d’enceinte qui a été refait sur le côté droit gauche.
Et depuis lors, les choses sont restées en place. Il y a bien eu ces petites consolidations pour éviter de voir un mur encore debout s’écrouler ou pour refaire le pont, mais aucun chantier d’importance qui aurait pu avoir tendance à dénaturer le site. Ce rapport au temps dans un petit espace, protégé par des arbres, est absolument exceptionnel. Nous sommes au sommet de ce qui doit être l’endroit le plus haut d’Avrilly à 159 mètres, alors que l’endroit du village le plus bas est à 137 mètres. La colonne érigée en haut du donjon ne doit pas compter dans le total! L’endroit éclate de vie sous l’exubérance de la végétation et le tapis d’herbes tendres parsemé de petites fleurs. Un très bel endroit que j’ai eu le plaisir de découvrir sous le soleil du printemps guidée par Marie-Françoise Vivien, la propriétaire de la Motte féodale, et Colette Boisson, deux amies passionnées d’art et de culture normande et membres actives d'associations du patrimoine.
Il est alors temps de refermer le portail et de terminer le billet.
Pour suivre le chemin
. Sur le château, voir d’abord le site de l’association « Les Amis du Donjon » avec de belles photos prises la présidente qui est aussi la propriétaire de la motte http://www.ccpd.fr/fr/vie-associative/culture/289-les-amis-du-donjon.html
http://www.chateau-fort-manoir-chateau.eu/chateaux-eure-chateau-a-avrilly-chateau-fort-avrilly.html
. Sur la place forte, lire http://fr.wikipedia.org/wiki/Place_forte
. Avrilly, quelques informations sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Avrilly_(Eure)
. Sur la naissance de la Normandie, voir http://www.histoire-normandie.fr/rollon-et-la-naissance-de-la-normandie
. Quant à « Rollon le marcheur », vous référer à http://fr.wikipedia.org/wiki/Rollon, , et à http://fr.wikipedia.org/wiki/Normands pour remettre l’histoire en perspective sur « Les Normands » - « les hommes venus du Nord », c’est-à-dire les Vikings.
. Quand il vous restera quelque énergie, pour remettre toutes ces informations en perspective, connectez-vous sur l’histoire simplifiée de la Normandie http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Normandie
. Apprenez en plus grâce aux fossés royaux du XIIè siècle, une technique ancienne qui a longtemps protégé les frontières de l’Ouest de la France, sur la décision d’Henri II, roi de France, contre l’ennemi anglais. http://www.eure.gouv.fr/content/download/10580/61444/file/105%20Les%20foss%C3%A9s%20royaux%20de%20l'Eure.pdf
. Regarder avec intérêt la fiche descriptive du village d’Avrilly sur le site du Conseil général sur http://www.conseil-general.com/local/mairies-villes-communes/mairie-avrilly-27240.htm . C’est là que vous trouvez l’altitude en particulier.
. Photos Elisabeth Poulain uniquement sur la motte, avec d'autres photos du site à voir dans Eure-Patrimoine3