A Sainte-Adresse > Marcher > Courir > Trottiner sur le Front de Mer
Décryptage du titre. Nous sommes à Sainte-Adresse, une petite ville située juste à côté de sa grande sœur du Havre. Son nom a dû lui être donné par les marins revenant au port, après avoir encouru les risques de la pêche en mer, en Manche, dans un site difficile, à l’entrée de l’estuaire de la Seine, traversé de forts courants maritimes et de vents violents. Le cap de la Hève situé au nord du site permettait de protéger un peu les navires, d’où le nom donné au Havre, qui s’appelait « Le Havre de Grâce » et à celui de Sainte-Adresse, à prendre dans le sens de « Bonne Adresse ».
Le Front de Mer à Sainte-Adresse. Il est une pure création de l’avènement du tourisme à la fin du XIXe siècle, en lien direct avec la starisation de la Côte d’Azur par et pour l’élite européenne et en particulier anglaise qui imposa des nouveaux styles de vie axés sur la jouissance de paysages en lien avec les loisirs.
. C’est le journaliste parisien, Alphonse Karr, qui en particulier lança la station auprès de l’establishment parisien et plus largement européen. Curieusement, le grand homme qui maniait la langue française avec le ciselé parfois cruel propres aux Parisiens n’a donné son nom qu’à une sente à Sainte-Adresse. Certes c’était un petit sentier parallèle à la plage, mais avec une vue incomparable réservée aux seuls marcheurs. A ce premier découvreur, lanceur d’une station balnéaire, il fallait un développeur, urbaniste de fait.
. Ce fut Georges Dufayel qui s’y attela, en voyant grand toute de suite. Il bâtit des villas, traça des rues parallèles au rivage pour les mettre en valeur, fit édifier pour son compte un véritable palais qu’on appelle toujours d’un nom volontairement impropre qui est « l’Immeuble Dufayel » tout en haut de la colline pour être sûr d’avoir toujours vue pleine et entière sur le paysage. On aurait pu parler d’un palais.
La station était lancée. Les villas nouvelles ont fleuri comme les tulipes au printemps, chacune avec sa vue personnelle fabuleuse, avec une conséquence sur l’espace extérieur qui a été de créer des lieux de rassemblement pour être vu tout autant que pour voir. Etre seul dans sa villa crée forcément un manque de visibilité, les réceptions les uns chez les autres ne pouvant suffire. Il fallut donc créer comme à Nice des lieux emblématiques de promenade. On parlait avec fierté de Sainte-Adresse comme étant « le Nice havrais », sans Promenade des Anglais, mais avec un beau boulevard longeant la mer.
Le front de mer est toujours le lieu où on peut le mieux contempler la mer, se rencontrer, voir et être vu, respirer l’air pur de la mer, marcher et faire du sport… Ces usages collectifs se sont renforcés depuis une centaine d’années, par la pratique individuelle de la marche sportive, du jogging… Il y a toujours quelque chose à voir et à faire, à l’instar de ces marcheurs à un ou deux pieds, à deux ou quatre pattes, chacun à sa façon, sans parler d'un mystérieux Johny le marcheur qui laisse des pas jaunes sur le bitume rose. .
Les aménagements du front de mer contribuent à ces plaisirs de la marche sous ses différentes formes. On peut varier les espaces au sol, selon qu’on est plutôt bitume, pelouse, revêtement sportif, à la rechercher de présence d’arbres, de roseaux… tout en choisissant sa ligne, plus ou moins près de la plage ou du boulevard, pour être seul, avec son chien sur la pelouse, comme si le contact de la terre engazonnée était une récompense pour les pattes de nos chers quadrupèdes, ou au plus proche de la plage pour apercevoir les mouettes sur les jetées près de l’eau….
A observer les gens sur le front de mer, des usages semblent se dégager. Le joggeur est seul ; il court pour lui. Il a sa route à tracer, son corps à satisfaire qui a faim de course. Le marcheur seul est le plus souvent, mais pas toujours, accompagné de son chien, ce qui ne signifie pas que les couples n’ont pas de chien. On trouve aussi l’équation un couple = deux chiens. Quand on voit un couple, on a souvent l’impression qu’ils se promènent plus qu’ils ne marchent. Ils sont là pour aérer leur après-midi. Il y a aussi des petits groupes comme ces familles qui viennent marcher avec des enfants encore petits. Quelques années plus tard, ces derniers reviendront mais cette fois-ci devenus cyclistes, le plus souvent avec leur père. En avançant encore dans le temps, ils seront joggeurs, masculins le plus souvent mais pas toujours heureusement…
Sainte-Adresse a toujours conservé son caractère balnéaire associée à sa grande sœur du Havre. C’était déjà le cas il y a plusieurs décades, quand des cartes postales ne mentionnaient que « Le Havre » en oubliant de citer Sainte-Adresse considérée comme un quartier agréable, particulièrement le dimanche. C’était l’endroit où on venait en costume noir et canotier d’été pour les hommes et en robe longue avec chapeau, ombrelles avec son petit pliant sur la plage pour voir les régates…La marche alors était réservée à ceux qui n’avaient pas de voiture ou ne prenaient pas le tramway. Le jogging n’existait pas. Les chiens ne tenaient pas une aussi grande place que maintenant. Les mouettes étaient déjà là…Et il y avait des bateaux grands et petits à passer sur l’eau au fond de l’horizon.
Le partage des rôles entre le petit port de pêche et le grand port. Le Havre est toujours le premier port français sur la façade atlantique. Il continue à accueillir les transatlantiques et les porte-conteneurs de marchandises. La nature profondément maritime de la ville subsiste mais d’une façon qui a profondément changé depuis la seconde guerre mondiale. Elle a en effet été quasiment entièrement détruite par les bombardements allemands. Elle a ensuite fait l’objet d’un très grand plan d’urbanisation révolutionnaire pour l’époque et qui a gardé son atmosphère un peu étrange, toujours innovante encore maintenant. Le Havre pris au sens large, Sainte-Adresse incluse, est devenu un lieu très attractif pour des Parisiens stressés en recherche de vibrations maritimes et ceci à deux heures de la capitale.
Le marché de l’immobilier y est en conséquence florissant, le projet du Grand Paris ne faisant qu’accentuer la pression sur le littoral. La marche, la course, le trottinement aux pieds de son ou de ses maîtres, sans oublier le léger dandinement des mouettes sur le sol continuent à donner vie au littoral. Le Front de Mer est profondément le lieu privilégié de la rencontre entre le monde de la mer, de l’air et celui de la terre, dans le cycle long du temps et celui toujours imprévisible du changement.
Pour suivre le chemin
. Aller au Havre et pousser jusqu’à Sainte-Adresse pour découvrir le Front de Mer : c’est un endroit fabuleux. Voir le site bien fait de la ville et qui donne envie d'y aller sur http://www.ville-sainte-adresse.fr/decouvrir/ville-et-habitants/histoire/
. Surtout consulter régulièrement la très belle collection de cartes postales anciennes de Sainte-Adresse sur le site participatif http://dionysiens.free.fr/ dans une très bonne présentation des cartes grandeur nature.
. Pour avoir une idée de l’importance du Front de Mer dans l’histoire, voir aussi 76 Actu, le site des Archives municipales http://www.76actu.fr/patrimoine-le-front-de-mer-entre-guerre-et-bains-de-mer_37787/
. Photos Elisabeth Poulain, avec mes remerciements à Dionysiens.free.fr pour la carte postale de la sente Alphonse Karr , à retrouver dans l'album photos "Mer-Eau" sur ce blog.
.Lire sur ce blog, concernant la marche en ville Lignes & Couleurs de la Ville > Le Havre > Les Conteneurs à Etudiants et MAP > Marcher Angers Penser > Traverser > Partager par la Parole