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Le Blog d'Elisabeth Poulain

Enquête alimentaire, Que mangez-vous, Que buvez-vous, Margherita Oggero?

15 Août 2008, 08:46am

Publié par Elisabeth Poulain

Margherita Oggero est l’auteur italienne du polar italien, L’amie américaine (Albin Michel Carré jaune). L’histoire est celle d’une maison ancienne aux volets fermés dont Camilla Baudino, prof dans un lycée –l’auteur est elle-même, semble-t-il, prof de littérature à Turin - , tombe amoureuse. Sans espoir de penser l’acheter au début. De circonstances en circonstances, l’attirance pour la maison, qui se fait plus forte, constitue le véritable fil conducteur sur lequel l’histoire est construite. Oh bien sûr, il y a un meurtre, celui de cette amie américaine, qui est en fait aussi italienne que Camilla. On l’appelle comme ça parce qu’elle a vécu aux Etats Unis. En fait, Dora Venetti, c’est son nom, cherche à vendre cette maison, pas à n’importe qui, à quelqu’un capable de préserver et de respecter sa nature profonde et l’atmosphère qui s’en dégage. Le mystère du décès de Dora permet de classer le livre dans les polars, un genre plus en phase peut être peut être que les relations qu’une femme établit avec les êtres, les choses, une ville à un moment de sa vie, la quarantaine vraisemblablement.

 

La maison est construite autour et pour la cuisine. Tout ce qui touche à la cuisine dans le roman, que ce soit les courses faites au marché, le contenu du réfrigérateur, la préparation du repas, le repas lui-même et la vaisselle, forme l’ossature réelle de ce roman de 2005. Dès la 2ème page, le ton est donné. Camilla est marié à Renzo avec lequel elle parle peu, a une petite fille et un chien Potti. On devrait inverser l’ordre, entre le chien et l’enfant. Autour d’elle, elle connaît aussi quelqu’un qu’elle rencontre dans la rue, l’Indestructible, pas un copain, un marginal en souffrance qu’elle aime bien et qu’elle protège un peu comme un enfant quand elle le voit. Sa façon à elle de lui faire du bien est de lui offrir le petit déjeuner au café du coin : capuccino et croissant au nutella. Le ton est donné. Par contre, quand la mère de Camilla, qui lui casse vraiment les pieds et qui vit à l’étage au-dessus, vient la voir, le frigo est sinon vide ; pire, ce qu’il contient est peu appétissant, ou limite avarié !  C’est drôle. 

 

La première visite de Camilla dans la maison, lors de l’accrochage du panneau à vendre, la bouleverse. Dans la cuisine, elle en est déjà à décider de ne changer que le minimum du carrelage noir et blanc, elle admire la cuisinière à bois en fonte qu’elle voit comme une puissance bienveillante tutélaire. Elle sent les effluves de plats : des poires au four avec du vin rouge et des clous de girofle, des gâteaux qui lèvent lentement, des gratins de pommes de terre à la lyonnaise, des gigots d’agneaux caramélisés, des carrés de porc entrelardés d’ail et de romarin, des spaghetti al cartoccio (avec des fruits de mer, des grosses crevettes, de la rascasse et une tomate), des bars, des daurades, des turbots des saumons…Deux lignes plus loin, on pense que l’évocation est tellement riche qu’il n’est pas possible d’en rajouter. Erreur. La puissance de l’attirance est si forte qu’elle franchit un autre pas, elle est maintenant en jeans dans la cuisine, avec son petit monde autour d’elle, son trio personnel - mari-enfant-chien - . C’est elle qui est maintenant la puissance tutélaire. Elle rayonne et prépare la pâte feuilletée du gâteau de Pâques, fait rissoler les oignons pour la soupe aux haricots, bat les jaunes pour la bavaroise.

 

Elle retrouve au fil des jours l’Indestructible lorsqu’elle sort de chez elle ou du lycée. Un jour, elle le voit assis sur les marches d’une librairie, avec deux packs vides de vin discount de marque Tavernello. Ce côté là la dérange un peu. C’est un vin très bas de gamme. Elle passe et fait semblant de ne pas le voir. Le vin de la région sera présent dans le récit pour attirer l’attention du lecteur sur des moments forts et un peu secrets.  Ce côté là interpelle aussi. Il y a chez l’auteur une réelle volonté de mettre la cuisine à l’honneur et de prendre la défense de variétés anciennes.

 

Entre Camilla et Dora s’engage une relation amicale incertaine et légère. Dora est seule. Elles vont au restaurant que choisit Dora. C’est plus facile pour apprendre à se connaître dans une relation de personne à personne. Elles commandent la même chose. Leur Ier plat est du rizotto.  C’est aussi celui qu’elles choisissent pour leur second repas, avec le détail cette fois-ci, risotto, viande crue hachée au couteau, l’un et l’autre saupoudré d’une fine neige de truffe blanche, soufflé de poireaux, tarte aux marrons glacés, une bouteille d’excellent Roero 2001 et deux cafés. Camilla est gênée, elle a oublié son porte-feuille. C’est  donc Dora qui paie. Dans leur relation, c’est Dora la généreuse nourricière et ça fait du bien à toutes les deux.

 

Petit à petit, elles prennent l’habitude d’aller déjeuner ensemble. La fois suivante, c’est au Tre Galline (Les Trois Poules) pour goûter une salade de poule au céléri et aux noix, un met dont Camilla retrouve le goût oublié depuis près de 20 ans, faite avec la chair d’une blonde de Villanova, une poule d’appellation.

 

Arrive un nouveau personnage, un lycéen de sa classe qui vient sonner à sa porte. Il s’était confié à elle pour cause de peine de cœur et a envie de lui parler. En signe de bienvenue, elle hésite à lui servir de l’alcool et devant sa protestation, elle lui offre un verre d’Arneis*, un vin d’appellation du Pièmont avec des taralli, des biscuits sans sucre, à grignoter à l’apéritif.

 

En revenant du marché, en compagnie de Dora, c’est un nouveau signe de renforcement de leurs liens amicaux, Dora est victime d’un accident et décède. Camilla raconte à la police comment l’accident s’est passé et parle des courses qu’elle a faites. C’est le tournant du roman. C’est aussi un sommet alimentaire parce que Camilla décrit très précisément, ce qu’elle a acheté, à qui avec le nom de la personne qui tient le stand, où, pourquoi…  :

-        2 kg de pommes délice +

-        1 kg de reinette, chez ce marchand, qui vient le vendredi et le jeudi et qui est bio, vrai ou pas et qui vend cher,

-        1 kg de poires Madernasse, chers, dont la variété est en train de disparaître, excellente cuite au four, avec du vin, du sucre, des clous de girofle et de la cannelle. Notez, c’est sa première recette ;

 

-        1 chou-fleur vert dont elle ne connaît pas le nom,

-        1 petite botte d’asperges, dont elle prend soin de préciser qu’elles sont cultivées en serre, achetée chez La Baricia (= Bigleuse ou anchois au choix),

 

-        de la tome de montagne, en fraîche et ½ sec,

-        du gorgonzola

-        et des premier-sel chez La Marghera (Laitière ou des femmes qui ont une grosse poitrine).

 

Gaetano entre en scène. Il est policier et aussi, pour Camilla,  son interlocuteur privilégié et un peu plus d’ailleurs. A ce moment Renzo (le mari) a de la fièvre et reste à la maison. Du coup, c’est lui  qui fait la cuisine. Il prépare une sauce all’matriciana, des involtini aux câpres et aux olives, accompagnés de pousses de navet et s’excuse de ne pas avoir fait de gâteau lors de ce jours très particulier qui est celui de l’enterrement de Dora. Il parle d’un gâteau d’obsèques.

 

Camilla commence alors une enquête pour comprendre pourquoi elle est suspecte aux yeux de la police. Il lui faut donc savoir comment Dora a pu mourir. Parmi ses aides, le lycéen et l’Indestructible à qui elle apporte des sandwichs du bar (celui des petits déjeuners au Nutella). C’est la Ière fois qu’elle va dans son antre qu’il a aménagée dans un garage. La Ière réaction de l’Indestructible (qui vit dans une grande misère matérielle)  est de lui demander :

-        à quoi est le sandwich ?

-        Jambon, mozarella, tomate, thon et petits artichauts, omelette verte et salade.

-        Oui, ça me va. Mais il y a la question du vin. Elle propose d’en chercher au Di per Di.

-        Non, ça ne va pas. Il décide d’aller voir le menuisier. Elle se méfie :

-        il est bon, ce vin ?

-        Oh oui, il a une vigne du côté d’Asti  et il fait du Barbera*. Et il revient avec un magnum de vin noir et épais.        

 

C’est la touche d’ironie et de clin d’œil au lecteur. Cette fois-ci, le plus raffiné des deux, n’est pas celui qu’on croit. Voilà l’Indestructible qui, chez lui, avec un vrai (= bon) sandwich acheté, ne veut pas boire de la bibine, mais du vrai vin, un vin d’appellation, très connu et cerise sur le gâteau, fait par un vrai homme, le voisin qui plus est, un vigneron-homme du bois.

 

Il ne reste plus, même si le roman se poursuit, qu’à boucler deux boucles. La Ière est celle où l’on voit Camilla, dans sa cuisine, faire à manger pour sa fille, non pas par amour maternel , mais pour se changer les idées. Elle ne peut pas dormir et va dans la cuisine pour préparer une tarte des Langhe au miel et aux noisettes. C’est la seule chose que sa fille préfère à la nourriture achetée.  C’est la première fois où Camilla cuisine pour quelqu’un d’autre mais sans faire cuire d'ailleurs. Ce n’est pas un hasard si c’est un gâteau. Comme vous l’avez certainement remarqué, elle commence souvent ses évocations de mets par la pâtisserie. 

 

Il reste une boucle où Camilla prépare le dîner avec une jeune amie qui choisit de faire de la viande. Du coup Camilla qui lui a donné le choix, prépare, elle, l’entrée, à savoir du riz. Ce sera alors du riz pilaf au Castelmagno*, au quel elle aimerait ajouter un nuage de truffe. Mais ajoute-t-elle, ce n’est plus la saison. Peut être était-ce aussi, parce que la truffe appartient à la rencontre avec Dora,  qui a changé sa vie, en perdant la sienne.  

Pour suivre le chemin

. Arnéis, c’est un cépage blanc du Piémont, appelé aussi ‘le petit difficile’, un clin d’œil de l’auteur enseignante, face à un lycéen. Wikipedia nous apprend qu’il est cépage utilisé en DOCG Roero et DOC Langhe. La tarte est aussi de Langhe. Ce n’est pas un hasard ; si l’auteur s’amuse à nous faire découvrir des productions confidentielles (428 ha en 2004)   

 

. Roero, voir la belle dégustation d’Olif  sur son blog

Olif.typepad.com/le_blog_dolif/2007


. Castelmagno, c'est le nom d'un fromage majoritairement à base de lait de vache, dont la Ière apparition dans l'histoire, remonte à 1100! A découvrir sur 
  http://prodottitipici.provincia.cuneo.it/prodotti/formaggi/castelmagno/index.jsp?lang=fr

. Plus que tout, on sent chez l'auteur l'influence de Slow Food, à découvrir dans un prochain billet! 

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