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Le Blog d'Elisabeth Poulain

Le toujours plus, un exemple de l'art culinaire en France, les cailles en sarcophage

1 Janvier 2008, 10:44am

Publié par Elisabeth Poulain

. Les fêtes sont passées de justesse. Pensons aux choses sérieuses.
Je croyais pourtant que nous avions fait notre révolution diététique : manger plus de légumes, de fruits et de fibres et moins de sucre, de sel et de matières grasses. A ces 3 + ces 3 -, vous ajoutez un litre d’eau par jour et un peu de calcium pour vos os. Hop, ma poule, ça roule, me suis-je dit un jour de grand enthousiasme. Que nenni. Il manque les protéines. Alors j’ai cherché, jusqu’à ce que je tombe sur L’Atlas historique de la gastronomie française, un ouvrage de chercheurs épicuriens qui ont travaillé sous la direction d’Anthony Rowley. Cet historien, prof à Sciences Po, aime beaucoup le vin et pousse la "provoc" jusqu’à se laisser photographier avec un gros cigare presque terminé à la main. Il faut être anglais pour cela.
 
A la dernière page de l’Atlas, le dernier texte est consacré à la vraie recette des cailles en sarcophages. Les vraies avec des truffes et pas avec des gros champignons de Paris comme indiqué dans wikipédia. Ces cailles sont célèbres, mais pas à cause de leur titre. Pourtant c’est quand même curieux de parler de sarcophage pour une caille, alors qu’on verrait plutôt une momie dedans. Aujourd’hui on parlerait d’un cercueil. Manger l’intérieur d’un cercueil ? Oui, bon, il faut que je réfléchisse. C’est bien les Français qui sont capables de faire des trucs pareils. Déjà l’escargot chez nous est élevé au rang d’un mythe ; il est préservé comme les vaches sacrées, au point, c’est vous dire, qu’on n’a plus le droit en France d’aller à la chasse à l’escargot. Où est le côté noble de la chasse ? Je vous le demande. Face à un escargot qui se traîne mollement devant vous.
 
. Revenons à nos cailles
Au moins, elles volent en principe et ne font de mal à personne. Et comme nous sommes de grands carnivores et de fins chasseurs, rien ne nous résiste, surtout pas les cailles, ces petits oiseaux de 15 cm de long, qu’on voit dans les champs manger des graines et des insectes à leur taille. On le connaissait déjà à Rome, sous le nom de quaccula. Il migre en France au printemps et en été et je ne sais pourquoi son nom désigne ici une femme ou une jeune fille légère. Pour moi, appeler quelqu’un du genre féminin ma petite caille est plutôt gentil sans avoir de connotation négative. Bon, je veux bien. 
 
En réalité les cailles que vous allez sacrifier sur l’autel de la gourmandise ne sont pas celles qui viennent de Méditerranée, ce sont des cailles d’élevage à partir d’une variété japonaise. Tabernacle, voilà que commence la grande mixité de l’art culinaire. L’Italie, ça allait parce que sans eux, on aurait été mal pour le vin et puis la caille ne connaît pas les frontières fussent-elles de Schengen. Préparez-vous parce que c’est plutôt compliqué pour commencer. Votre cuisine doit être bien rangée, il va vous falloir de la place et avoir tout acheter avant en prévoyant un budget certain. Ce n’est pas triste. Vous allez comprendre pourquoi. J’énonce dans l’ordre. La recette est donnée pour 12 personnes ou pour 6 qui mangent chacun pour 2. A vous de choisir. Parce que moi, je n’en sais rien.
 
. La phase initiale : la plus dure

Vous partez du début, les 12 cailles fraîchement étouffées dans de la vieille fine champagne. Ca commence bien. Vous enlevez les plumes, les désossez ou plutôt votre boucher préféré le fait pour vous, vous les faîtes tremper dans du vieux cognac et les farcissez avec 200 grammes de foie gras. Divisez 200 par 12, ça fait 16,6 gr par bête, vous êtes priés d’être précis. Rien que cette phase vous prend plusieurs heures, à condition d’avoir les cailles et de ne pas avoir trop d’imagination ; étouffer des petits oiseaux dans du cognac, c’est quand même sévère. Glissez ses mains dans ces petits corps pour enlevez les os. Oui, euh, moi, non. 

Stop, maintenant vous passez aux 3 grives. Oui vous lisez bien. Il vous faut absolument ces 3 volatiles un peu plus gros pour …Vous donnez votre langue au chat ? Oui = pour faire une sauce pour les cailles, mais oui. Il faut les faire cuire avec du beurre, puis vous les passez à la presse pour ne garder que le jus. C’est d’un chic ; encore faut-il avoir une presse. C’est bien pour ça que je vous ai prévenu. Il faut savoir investir. 

Bien évidemment vous savez que ce jus est un peu "pauvre" ( ?) alors vous allez chercher un veau, mais oui, celui de la vache! Vous prélevez un rôti dedans. Pourquoi ? Mais voyons, pour faire un jus de rôti de veau pour enrichir l’autre jus. Personnellement, je commence à avoir du mal à suivre. Mais je poursuis. A vaillant cœur, rien d’impossible, comme disait mon ami Jacques Cœur. Vous mélangez le jus de presse des grives avec le jus de veau + 100 grammes de porto blanc ou de madère et 40 grammes de mirepoix. Mon ami Wiki (pédia) me signale que c’est une sauce qui résulte de la cuisson d’un grand nombre d’ingrédients tels que carotte, oignon, bouquet garni, champignon, clos de girofle avec du bacon et du jambon (mais ça peut varier) avec du chablis. Votre presse va encore servir parce qu’il faut passer tout ça et n’en prendre que 40 grammes de sauce. On peut enfin faire cuire les cailles dans ce jus. Ouf, IIe cri de victoire, le Ier c’était pour les cailles au début. Ce fut rude quand même. 

. Deuxième phase : la cuisson des truffes

On farcit les truffes chacune avec une caille cuite, en creusant la truffe et en gardant le chapeau. Il faudrait faire un test en réel. Existe-t-il des truffes « achetables » (= qu’on ne voit pas seulement dans des films) qui puissent contenir chacune une caille farcie ? Continuons. Bardée de lard, chaque truffe est entourée d’un papier et nec plus ultra, vous les placez dans de la cendre de bois chaude prête à point au moment où il le faut. Mais oui, Grande Béta, vous avez de la cendre chaude prête à point dans la cheminée ou dans votre cuisinière à bois, pas au charbon ni au gaz. NON, uniquement du bois. Rien n’est dit sur le type de bois. Là, il faut improviser. Du sarment de vigne devrait être une merveille, le chêne c’est du convenu, facile. Non, à mon avis des vieux ceps de vigne de 60 ans d’âge devraient faire l’affaire. A chercher plusieurs mois à l’avance chez votre vigneronne préférée. Comptez une heure de cuisson. 

. Troisième phase : la disposition sur le plat et l'attaque

Ce n’est pas fini. Il faut déshabiller les truffes de leur papier et de leur barde. Puis vous recueillez le jus que vous avez filtré et dégraissé (et oui, pensez à votre forme, il serait temps) et vous le versez sur les cailles en sarcophage dressées dans un plat. 

. A boire selon la recette, non pas avec la vieille fine de champagne du début, ni le porto blanc + le chablis du mirepoix, mais avec du champagne. Vous pouvez aussi choisir un Crémant de Loire Ivoire Louis de Grenelle qui devrait bien se marier avec la caille en sarcophage. Rien n’est dit sur l’accompagnement, légumes peut-être rien après tant de superposition de goût. Rien non plus sur l’avant (quelle entrée ?), ni sur l’après (un peu de fromage ? Un petit sorbet pour faire glisser ?). Quelle misère ! Je ris. 

. Quatrième phase : réminiscence culturelle

Vous pensez évidemment à Karen Blixen qui rendait hommage à l’hédonisme français dans "Le Festin de Babette" et vous vous précipitez après le repas sur le site wikipédia pour voir la recette actuelle des cailles en sarcophage.

 
Le plus délicieux est le commentaire du chercheur qui reproduit la recette tirée de l’Art culinaire français, Paris 1950: ce mets …constitue l’une des préparations les plus raffinées de la cuisine moderne. J’aurais plutôt cru qu’on se trouvait à coté d’Antonin Carème dans les cuisines de Talleyrand au Congrès de Vienne. Alors l’Europe était en très mauvais état après les guerres napoléoniennes et toutes les Cours se régalaient et dansaient à Vienne pendant les négociations... 

 
Pour suivre le chemin
. Différences Culturelles, Norvège, France (1), sur ce blog qui m’a fait redécouvrir l’auteur danoise grâce à Eva Joly qui l’a citée dans son dernier ouvrage.
. Les Français à table, Atlas historique de la gastronomie française, sous le direction d’Anthony Rowley, Hachette 1997
. Le cuisinier de Talleyrand, Meurtre au Congrès de Vienne, de Jean-Christophe Duchon-Doris, en réédition au Seuil : une merveille d’écriture, de capacité de visualiser les entrailles de la terre, comprenez des cuisines de Talleyrand, dans un roman aux allures d’enquête policière, en suivant les pas d’un héros attachant. Chaque chapitre commence par un digest récapitulant tout ce qui se mange dans le chapitre. L’auteur est un jeune magistrat doté d’une érudition époustouflante.
. Et pour une fois, il n'y a pas de photos!    
 
 
 
 
 
       
 
 
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