l’Illustration 1911-02-11, 4 rues du Vieux Paris à démolir, Quartier St-Merry
Ces photos se trouvent en page 85 de ce numéro de l’Illustration du 11 février 1911, qui commence en page 81, après 11 pages d’Annonces, le verso de la couverture y compris. Et c’est en page 85, la meilleure des deux pages, que l’on découvre avec surprise quatre clichés au format vertical qui mesurent 15 cm de hauteur sur 10 cm de largeur. Ils occupent toute la page, avec sous chaque photo, le nom de la rue avec le titre suivant « Un quartier du Vieux Paris qui va être livré aux démolisseurs ». Ce quartier est celui de Saint-Merry ou Merri comme on peut l'écrire aussi. La dénomination de la Collégiale Saint-Merry serait venu du nom de l’abbé Saint Médéric, mort en l’an 700, canonisé puis rebaptisé Saint-Merry par contraction. Les restes de ce Saint reposent toujours dans la crypte de l’église.
L’ordre des photos des rues est le suivant : Brise-Miche et Pierre au Lard se trouvent en haut et La Verrerie et Venise sont en bas. L’ordre alphabétique n’est qu’à peine utilisé. Cet endroit de la capitale est qualifié de « Mauvais coin de Paris ... Ces rues « lépreuses… » ont de six cents à sept cents années, selon M. Georges Cain, le conservateur du Musée Carnavalet. Il poursuit : « ces ruelles sombres, ces rues tortueuses sont en quelques sortes devenues terres d’élection pour les apaches, les filous, les échoués..». Notez l’ordre des trois dénominations : les Apaches (= les Indiens) viennent en premier, les Filous, on comprend sans souci, quant aux Echoués, le terme est étonnant, tant il est parlant. Il ne fait plus partie de notre vocabulaire de cette seconde décade du XXIe siècle. On parlait il y a quelques décades de « voyous »…pour désigner des mauvais garçons. En un mot, ils n’étaient pas des hommes fréquentables et ce quartier extrêmement pauvre, qui « suintait la misère », était tout sauf sûr!
. 1.1 La rue Brise-Miche, qui date du XVe siècle, doit sa dénomination à une boulangerie qui s’y était fixée. Une autre rue proche portait le nom de « Taille-Pain ». Toutes deux étaient situées non loin de la Collégiale de Saint-Merry qui abritait des chanoines qui mangeaient des « miches de pain », ces grosses boules de pain. Ne disait-t-on pas « gras comme un chanoine » ! Mais le pain, ne l’oublions pas, avait plus qu’une valeur nutritive, il avait aussi une valeur symbolique extrêmement forte dans la religion chrétienne. Ceci ne figure pas dans le texte, c’était dans l’air du temps, un temps long de plus de six à sept siècles, quand même.
L’auteur de l’article parle avec infiniment de « délicatesse » des activités diurnes, où l’on peut acheter des vieilles chaussures usées tandis que le regard se porte sur « une cour des miracles de la pierre ». Les activités nocturnes sont signalées par « des lanternes troubles (qui) s’allument, nombreuses, celles des hôtels garnis où se réfugient le vice à côté de la misère et toutes les pires déchéances… » . La nuit, des chaînes étaient fixées à des anneaux aux numéros 28 et 29 pour assurer une certaine sécurité! « Ici, on logeait à la nuit, depuis 0fr.40, 0fr.50, 0fr.60, 0fr.70…avec même pour les riches, des chambres à 1fr. » En 1911, on pouvait encore les voir dans les murs.
Vieux Paris, Rue Pierre au Lard, L'Illustration 11.02.1911, p.85 en haut à gauche, Cl. Elisabeth Poulain
.1.2. La rue Pierre-au-Lard, située sur la photo en colonne de gauche de la rue précédente, mérite moins de commentaires du journaliste A.C. Ce qu’il nous apprend est tout à fait étonnant. Si Brise-Miche, qui ouvre l’article, a bénéficié de 22 lignes, PaL ne mérite que 7 lignes. Il y a quand même un élément intéressant sur la vie qu’on y menait : « Ce sont les mêmes masures sombres, les mêmes gîtes effroyables. On peut loger là à quatre sous la nuit. » En comparaison, dans la rue précédente à Brise-Miche, les prix de la nuitée allaient de « 0 fr.40, 0 fr.50, 0 fr.60 et 0 fr.70 et même « pour les riches, des chambres à 1 franc.» Ce qui semble signifier qu’en comparaison, cette rue attirait –façon de parler – encore plus la pauvreté. Le dicton « Dis-moi où tu habites, je te dirais qui tu es » ne semble pas pouvoir s’appliquer pas dans ce cas, celui d’une misère « effroyable. » Le cliché donne à voir un chien en premier plan qui semble avoir la tête tournée vers les personnes du fond.
Vieux Paris, Rue de la Verrerie, L'Illustration 11.02.1911, p.85 en bas à gauche, Cl. Elisabeth Poulain
.2.1 La rue de la Verrerie. Visuellement notre regard vient de passer aux deux clichés du bas de la page, juste en dessous de la rue Brise-Miche. Il y a forcément un lien avec la Verrerie, qui ne désigne pas ici une fabrique, par exemple, mais la Confrérie des Verriers-Vitriers depuis le XIIe siècle, les premiers produisant le verre et les seconds le posant sur les quelques rares et petites fenêtres qui permettaient à une faible lumière de pénétrer dans les logements et/ou lieux de travail. La rue avait acquis une réelle notoriété du fait que le roi passait par là « pour aller de son château du Louvre en celui de Vincennes » et que les ambassadeurs faisaient de même. Ce que nous voyons nous, c’est évidemment ce magnifique escalier « à claire-voie », qui est donc à l’air libre et que l’on voit bien. N’oubliez pas que le cliché a été pris soit fin de l’année 1910 soit au tout début de 1911.
.2.2. La rue de Venise. Elle est pour l’auteur « l’une des plus curieuses du vieux Paris ». Elle s’appelait au XIIIe siècle rue Hérambourg, puis Bertaut-qui-dort du nom d’un homme cité dans l’article comme étant « un original qui y possédait une maison» !. Ce ne fut qu’au XVIe siècle que la rue prit le nom « de Venise », non pas à cause d’un lien direct avec la célèbre ville italienne, mais parce qu’il existait une enseigne « A l’Ecu de Venise ». Le texte parle ensuite du temps où les charrettes de fleuristes s’y rendaient pour les « remplir de fleurs ». Par déduction mais sans certitude, on peut supposer que cette référence à la ville de Venise avait un lien avec un fleuriste-grossiste, sans indication de dates ni de siècles. Par contre juste avant, l’auteur du texte vise nommément les « bouges et hôtels borgnes y abondent aujourd’hui, mais du moins connait-elle –la rue de Venise- un instant-joli dans sa journée, celui où les fleuristes des rues viennent y remplir leurs charrettes ». C’est joliment dit. Remarquons aussi qu’A.C. n’avait pas jusqu’ici évoquer clairement la question de la prostitution ; par contre il lui suffit de nommer « les bouges et les hôtels borgnes ».
Il y a plusieurs éléments très intéressants dans ce cliché. C’est en particulier ce groupe de personnes, la tête courbée les unes vers les autres, pour donner l’impression qu’elles papotent entre elles, plus vraisemblablement à la demande du photographe de façon à ce qu’on ne voit pas leur visage à l’exception de la jeune fille de droite. Peut-être aussi la personne du fond est-elle un homme ? Je crois voir un béret alors que les dames ont chacune un foulard sur les cheveux et une jupe longue avec un tablier. On voit aussi un « Défense d’afficher » sur le pan coupé de l’angle et de l’autre.
Avec de telles photos et un article d'une telle finesse d'écriture d'A.C., on ne peut faire de conclusion. On ne peut que constater le renouvellement perpétuel de la ville qui, tel un animal vivant, a besoin de détruire des constructions très anciennes de logement et de rues pour retrouver de l’espace et permettre à plus de personnes de vivre dans des conditions décentes sur la base de normes nouvelles adaptées à l’époque…qui à leur tour … La ville est un organisme vivant… dont ces quelques photos datant vraisemblablement de fin 1910, début 1911, permettent de constater la dureté de la vie… Mais avec aussi à chaque fois un ou des éléments appartenant à l’ordre de la vie qui continue . Certes l’étroitesse des rues est ce que nous remarquons en premier, sans oublier de dire, qu’on voit le ciel :
- Brise-Miche montre un homme à gauche en train d'essayer une chaussure et un autre plus loin qui vend -peut-être- des pommes, avec un peu plus loin et en hauteur une grande clé qui indique la présence d'une échoppe de serrurier,
- Pierre-au-Lard: on voit un chien au Ier plan, la tête tournée vers deux ou trois personnes dans le fond de la ruelle,
- Rue de la Verrerie, c’est le soleil que l’on perçoit en premier avec cet escalier ouvert sur l’extérieur, de la vie, la chaleur l’été, le froid l’hiver…
- Rue de Venise, ce petit groupe de personnes,qui parlent entre elles,attire l’attention sur la hauteur de six étages et plus sans oublier les combles, l’étroitesse de ces ruelles…
Pour suivre le chemin
. L’Illustration, n° 3546, 69me année, 13 rue Saint-Georges Paris, pages 85 et 86. La page 85, avec les quatre photos, porte comme sous-titre "Un quartier du Vieux Paris qui va être livré aux démolisseurs"
. L’église Saint-Merri à voir sur wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Saint-Merri
. Quartier Saint-Merry – qui s’écrit aussi Merri - l’église du même nom, à voir sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Quartier_Saint-Merri
. Le Musée Carnavalet est à retrouver sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Mus%C3%A9e_Carnavalet Depuis la fin 2016, Il est fermé pour cause de travaux de rénovation et ré-ouvrira à la fin 2019! Patience!
. Miche de pain sur https://fr.wiktionary.org/wiki/miche
. Un « loubard » est un Jeune au comportement marginal, ressenti comme une menace, un danger et qui est souvent effectivement délinquant. Retrouver « la chanson du loubard » de Renaud : "J'suis un loubard parmi tant d'autres, Je crèche pas loin de la Défense, J'ai l'air crado, c'est pas ma faute, Mon HLM, c'est pas Byzance, Mon pote, mon pote...". A voir sur https://fr.wiktionary.org/wiki/loubard
. L’origine du nom de famille « Herambourg » est à retrouver sur https://www.filae.com/nom-de-famille/HERAMBOURG.html ou « Erambourg selon le site, nom de personne féminin d'origine germanique erinburg, composé de "erin" qui signifie honneur et de "burg" qui signifie "protection" ». Je dirais plutôt que "burg" désigne un château, qui de fait assurait la protection des villageois habitant « hors les murs » et qui venaient s’y réfugier en cas de menace de l’ennemi.
. Un bouge est un hôtel mal famé, à retrouver sur https://dictionnaire.reverso.net/francais-synonymes/h%C3%B4tel+borgne
. Merci au contributeur Mbzt pour la photo "wikipedia", clichés Elisabeth Poulain pour les clichés de l’Illustration.